Archives pour la catégorie «Le Misanthrope»

Le misanthrope – présentation

LE MISANTHROPE, de Molière. Mise en scène Alain Enjary. Scénographie Alain Enjary et Arlette Bonnard. Lumières Eric Fassa. Prod. C.D.N. de Franche-Comté. Créé le 20 Mars 1990. Nouveau Théâtre de Besançon. Avec Arlette Bonnard, Mireille Delcroix, Damien Dole, Valérie Durin, Alain Enjary, Armand Enjary, Gilles Geisweiller, Didier Kersten, Denis Llorca, Jean-Philippe Lo Crasto, Philippe Vialèles.

« Je veux qu’on soit sincère… Je veux que l’on soit homme. » Quel plus beau programme que celui d’Alceste ? Qui plus est il l’applique. Or Alceste est risible. On rit de lui de moins bon cœur, sans doute, que d’Harpagon, d’Argan, d’Orgon, Monsieur Jourdain, Cathos ou Philaminte… N’empêche que Molière n ‘a pas dû le jouer tragique, ni évidemment « romantique », et qu’il a fait partie aussi, pour lui, de tous ces entichés de cassette ou d’apothicaire, de nobles ou de bigots, de mode ou de culture. « Il suivait son idée. C’était  une idée fixe et il était surpris de ne pas avancer », comme disait Jacques Prévert. Seulement jamais Molière, lui, n’a encore été, et n’ira plus si loin. L’homme, c’est-à-dire nous, dont il doit faire rire, car tel est son métier, son « étrange entreprise », cette fois il le débarrasse de l’objet « grossier » d’un désir, d’une passion dont on peut se dire : ce n’est pas la mienne, celui dont je me moque est un autre. Et si nous n’avons jamais bien su s’il fallait rire du Misanthrope, c’est peut-être que le désir obsessionnel, maladif, d’atteindre, posséder, ou être quelque chose ou quelqu’un, Molière lui donne ici la forme de « l’Idéal ». Pire : non pas de l’idéal qu’on partage avec d’autres, et qu’on peut toujours accuser d’aliéner et fanatiser, mais de celui qui croît au profond de soi-même, qui naît ou qu’on se forge on ne sait comment, et souvent nous fait voir les autres comme autant d’empêcheurs de vivre l’âge d’or ! Quoi, cette intime et pure aspiration pourrait être elle aussi, disons le mot moderne, une névrose comme une autre ? Dans ce cas elle deviendrait l’alibi le plus parfait, terriblement définitif, à l’abri duquel, en toute bonne conscience, voire totale innocence, on pourrait continuer jusqu’à la fin des temps d’être brutal, égocentrique, avide ? Comment rire des « Appétits » qui nous possèdent et nous dévorent, alors même qu’ils s’appliqueraient à la maîtrise, la liberté, la sagesse ? Mais le poète comique, ici, bien loin de tout cynisme et de tout désespoir, n’est-il pas au contraire au plus près de la foi, à sa façon ne se risque-t-il pas au bord de l’indicible ? Car la sagesse la plus sage n’est-elle pas celle qui rit de la sagesse elle-même ? Comme le « sage » Salomon à qui l’on attribue le vent qui souffle dans l’Ecclésiaste : « J’ai prétendu être sage ; mais c’est hors de ma portée. Hors de ma portée ce qui est ; profond, profond, qui le trouvera ?… Et je me dis : tel est le sort du fou, tel sera le mien ; alors à quoi bon ma sagesse ? Et je me dis que cela aussi est vanité. »
Rions, sourions au moins du Misanthrope, et de ce qu’en nous-mêmes nous croyons le plus vrai, sincère et profond, remettons Alceste à sa place, et nous par la même occasion, sans aigreur non plus que scrupule, même si l’homme aux rubans verts a souvent raison face aux autres, car la Raison face au mystère est peut-être le plus banal déguisement de la Folie.
Et si on ne rit pas tant que ça, ce n’est quand même pas grave. Car l’humour dans « Le Misanthrope », comme l’air en haute montagne, se raréfie sans doute, mais pour devenir plus léger, plus vivifiant, plus pur.

Alain Enjary

Le misanthrope – photos

Photos Joël Lavrut


Le misanthrope – extraits de presse

Le Misanthrope : partie d’échecs
Pas facile de monter et de montrer « Le Misanthrope », une pièce où il ne se passe rien, une intrigue dont les nœuds se tissent ailleurs et qui ne donnent lieu qu’à récits. Tout est dans la tête. Entre Alceste et Célimène, c’est purement intellectuel, quoi !
Habile metteur en scène, Alain Enjary parvient à nous montrer quelque chose : une partie d’échecs entre le Misanthrope et la coquette. Sport cérébral s’il en est, mais une partie grandeur nature où les personnages évoluent, qui selon la diagonale du fou, qui selon le pas chassé du cavalier, qui droit devant avec la solidité de la tour, qui pas à pas dans les infinies possibilités de déplacement de la reine…
Les adversaires (l’être et le paraître) sont de force égale et redoutable.
Entre Alceste-Denis Llorca, drôle et inquiétant d’intransigeance, et Célimène-Mireille Delcroix, noble et fière amoureuse de la vie, une troupe fait mille grâces, mais sobrement , et le spectateur garde sa liberté de choix.
Intellectuel jusqu’au bout, ce jeu ! Jean-Pierre Govignaux, L’EST REPUBLICAIN.