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Maurice Denis – journal intime

Auto-portrait de Maurice Denis devant le Prieuré

MAURICE DENIS, MÉMOIRE INTIME, d’après Maurice Denis. Choix de textes et mise en scène Arlette Bonnard et Gloria Magar. Production Musée du Prieuré et AMBRE. Créé le 30 mars 1996 au Musée du Prieuré, à Saint-Germain-en-Laye. Avec Arlette Bonnard. Reprise  le 20 mai 2006.

Depuis le symbolisme, le travail de l’artiste est devenu plus subjectif que jamais. Toute émotion peut devenir sujet de tableau. Dès lors les vingt-quatre heures de chaque jour ne suffisent pas à les noter toutes, ces émotions… La vie se passe à tenir une sorte de sténographie des sensations quotidiennes.

Remarqué qu’on s’habitue même aux pires émotions, et que c’est un bien immense pour la vie.
Je souffre à la pensée de me distraire, qu’il faut passer le temps, se distraire.
Nous avons été plus loin que nos devanciers dans notre application à pénétrer l’expression de la nature, de même aussi notre dépendance vis-à-vis de nos émotions est plus complète, plus douloureuse.

Pour moi, le travail de situer dans une forme aussi simple, aussi claire et aussi noble que possible une émotion contingente, personnelle, vécue, ce travail est le plus passionnant qui soit. C’est l’effort traditionnel de l’artiste depuis que la conscience de l’individu s’est faite le centre de tout. Arriver à une expression générale d’une émotion particulière.
« Le grand homme n’aspire qu’à se faire banal », dit Gide.


Singulière soirée chez Vollard. Dîner exotique, de cuisine épicée, qui s’achève dans les propos les plus débraillés. Ma voisine, poétesse lesbienne, veut me faire marcher sur la religion, je la fatigue d’ironie.

A la porte dans la rue Laffitte, les camelots annonçaient les 150 blessés de la Bourse du Travail, émeute toute proche de nous dont personne n’était ému, et qu’on accueillait, au sortir du gala de l’Opéra, par la plus froide indifférence.

Cézanne dit : « Comment obtenir la lumière, les reflets, par quels contrastes? C’est le gris qu’il faut trouver. La lumière n’est pas une chose qui peut être reproduite, mais qui doit être représentée par autre chose, par des couleurs. J’ai été content de moi lorsque j’ai trouvé ça ».


La notion du soleil. L’impressionnisme a vécu du soleil. Le néo-impressionnisme l’a mis en coupe réglée : violet, jaune, orange, bleu, impossible de sortir de là. Gauguin, pas plus que Puvis de Chavanne n’a tenu compte des effets de lumière solaire autrement que pour en tirer des moyens de composition, enfin de la poésie. Les jeunes à la suite de Vuillard sont arrivés à se débarrasser de tous les préjugés scientifiques ou pseudo-scientifiques sur les contrastes de couleur nécessaires à la peinture du soleil, ils expriment le soleil par des moyens capricieux. De ce caprice renaît la variété, et voilà la poésie, et aussi le soleil, dont la notion devenue si confuse, cesse d’être le Dieu unique de la peinture moderne.

Degas n’a pu rester sur l’estrade, il s’est retiré dans le salon d’entrée. Je le trouve appuyé au piano, je lui apporte une chaise. Degas me dit qu’il est venu près du piano pour se glisser par derrière et pisser là contre, qu’à son âge on a des besoins irrésistibles.

L’idée de noblesse est assurément nécessaire dans le jugement d’art, elle est difficile à définir, elle est tout de même un élément important.


Le goût est peu de chose pour un homme d’imagination qui est maître de ses moyens. Nous attachons tant d’importance au goût. Le goût, c’est une simple décence, rien de plus.


12 août 1915
Entrée au Prieuré. Je suis charmé par la lumière, la douceur, la gaîté grave de cette maison ainsi transformée et comme toujours en remerciant Dieu, je m’inquiète de ce bonheur obtenu…


Extraits de « Maurice Denis, mémoire intime »