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Ulysse – présentation

ULYSSE, d’après Homère. Mise en scène et scénographie Arlette Bonnard. Décor et accessoires Henri Presset. Participation au texte Alain Enjary. Lumières Marc Chartier. Production Centre Dramatique de Nanterre et Théâtre de Liberté. Créé le 4 Novembre 1976. Maison de la Culture de Nanterre. Reprise, 1977, Théâtre de la Cité Internationale, Paris. Tournée en France, Belgique, Suisse. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary, Colin Harris, Zbigniew Horoks, Kim Lefèvre, Louis Samier, Danielle Van Bercheycke.

Dès l’ouverture de l’Odyssée, le roi des dieux, Zeus lui-même, semble exposer le sujet du poème : « Ah, vraiment, de quels griefs les mortels ne chargent-ils pas les dieux ! A les entendre, c’est de nous, que viennent leurs malheurs, mais c’est par leur folie qu’ils sont frappés au-delà même de leur destin. » Le destin, c’est une chose ! La folie des hommes, leur démesure en est une autre !
Nous jouons dans un mobilier de géants, petits hommes dans un monde trop grand, pris dans les grandes tempêtes de la mer et du cœur. Les dieux sont installés à une table de nains. Ils ne sont guère plus avancés ! La juste mesure manque. Pourtant, dit Ménélas : « Le  mieux est toujours dans la juste mesure. » Le Ménélas d’Homère, pas celui d’Offenbach ! On ne parle pas du même « milieu ». Ce n’est pas le fauteuil confortable de Chrysale. Entre les extrêmes, il est difficile de tenir le cap étroit, le fil fragile de sa vie, de la vie, d’accomplir son destin avec dignité. Il faut être un équilibriste pour résister sur ce juste milieu. Il faut être Ulysse aux mille ruses.

Cent cinquante mille hommes se sont étripés devant Troie. Ils y ont gagné la gloire et se sont engouffrés en foule au royaume des morts. A une extrémité du camp grec, on trouvait les bateaux d’Ajax, qui se suicidera par orgueil, à l’autre, ceux d’Achille, qui a délibérément choisi une vie courte et glorieuse à une autre longue et obscure, au centre exact, d’où Stentor peut se faire entendre d’un bout à l’autre, les douze bateaux conduits d’Ithaque par le fils de Laërte. C’est un des multiples « milieux » d’Ulysse. On le retrouvera « au nombril de la mer », chez Calypso, condamné à l’errance pour avoir crevé l’œil unique, central, d’un fils de Poséïdon (le Cyclope « qui n’a pas de bateau pour aller chez les autres peuples »), rapatrié par d’autres descendants de Poséïdon (les Phéaciens, « excellents marins dont les bateaux intelligents n’ont pas besoin de pilotes ni de gouvernails et sont plus rapides que l’aile et la pensée »). Il n’est pas tenu non plus, passant près des sirènes, à une des solutions extrêmes : jouir de leur chant et mourir, ou vivre en s’y rendant sourd. Il les écoute et vit quand même : il s’est fait ligoter au mât, planté au centre du navire.
Et Ithaque elle-même, « visible de partout », son île, son désir, son espoir pendant dix ans de guerre et dix ans d’errance, n’est-ce pas le centre, le milieu ? Et n’y a-t-il pas encore un centre du milieu ? Car une fois à Ithaque, encore faut-il gagner le lit, que défend Pénélope, ce lit enraciné « autour » duquel la chambre nuptiale a dû être bâtie, ce lit qui seul  amène à la reconnaissance.

Il ne voulait pas partir à la guerre (il simule la folie), pourtant c’est grâce à lui qu’elle a été gagnée (il invente le Cheval). Calypso, qui l’aime, lui offre d’être un dieu immortel, Circé, dont sa fidélité n’empêche pas qu’aussi il partage la couche, veut le transformer en cochon. Le voilà toujours entre Charybde et Scylla ! A moins que la contradiction — au contraire ! — lui assure protection, repos et chaleur, comme lorsque épuisé, nu, après un naufrage, « il se glissa sous une double cépée issue d’un même tronc, un olivier sauvage et un olivier cultivé », ou, au cours d’un autre naufrage, il attache ensemble un débris du mat et un de la quille, liant dessus, dessous, bas et haut, et s’y agrippe pour survivre. Zeus encore, au début de l’Odyssée l’a désigné comme le « milieu » : « Comment pourrais-je oublier le divin Ulysse qui l’emporte sur tous les hommes par l’intelligence et qui l’emporte aussi par le nombre des sacrifices offerts aux dieux immortels, habitants du ciel immense ? » Le plus intelligent, donc le plus libre, et en même temps le plus respectueux des lois immuables : il « gouverne » comme ces oiseaux de mer qui, en fait, ne font qu’utiliser merveilleusement les courants d’air !

À moins qu’il ne soit simplement, non celui « qui excelle parmi tous les hommes », mais « l’homme par excellence », l’homme à sa place d’homme, fine, tendue, contradictoire, au centre, justement, « entre-deux », reliant ciel et terre, comme le fil de l’arc, le symbole de cette jonction, son arc, avec lequel il tire à travers le vide central des haches, puis élimine les prétendants illégitimes, et qu’il est le seul à pouvoir bander.

Recherche de l’équilibre et quête essentielle du centre… Menées aussi par Pénélope, sa femme, la moitié de lui-même dont il est séparé, son contraire identique, son double en femme, sa jumelle, non moins rusée et résistante, patiente et sage, « divine », enfin, que le « divin Ulysse » en personne ! Ils mentent, ils louvoient tous les deux. Elle défait la nuit son ouvrage de la veille, il se fait appeler Personne. S’ils ne sont pas dupes des autres, ils ne le sont pas plus d’eux-mêmes. Ils ne se font pas d’illusions, mais ne sont pas cyniques non plus. Ils veulent la paix. Elle passe par la violence envers les prétendants dont les désirs et l’arrogance confinent alors à la folie, puis par un ultime combat, que les dieux interrompent, qu’Ulysse mène aux côtés de son père Laërte et son fils Télémaque, entre deux âges, on pourrait dire, passé et avenir, une fois encore « au milieu ».

Notre lecture d’Homère, aussi fidèle que possible, est au bout du compte optimiste parce que, même s’il doit repartir, Ulysse est revenu et il reviendra à Ithaque, à Pénélope, et aura « une mort très douce ». Ce qui n’est pas tout à fait banal puisque Achille lui-même lui déclare aux Enfers : « Ne me console donc pas de la mort, illustre Ulysse, j’aimerais mieux, serf attaché à la glèbe, être aux gages d’autrui, d’un homme sans patrimoine, n’ayant guère de moyens, que de régner sur les morts qui ne sont rien ».

Alain Enjary

Ulysse – photos

Photgraphies Marie-France Arcelin et Jean Mohr


Ulysse – extraits de presse

(…) C’est léger, surprenant, candide, souriant, rien n’est laid, pesant ou médiocre, et le récit va, comme poussé par le vent, sans complaisance ni bassesse. Simple histoire, sans l’ampleur certes du vieil Homère, mais où l’on sent comme une respiration maritime, la mer au soleil, sous l’œil des dieux, un certain bonheur d’être et de dire, sans plus. Et c’est l’essentiel.
En ce temps où les metteurs en scène surchargent, encombrent la scène, déversant sur les planches, à pleine caisse, leurs jouets, ce travail attentif, et comme fait de riens, séduit par son innocence active, son imagination sans orgueil, par je ne sais quoi d’ingénieux, de vif, d’éphémère, de grave parfois, comme le jeu même. Nous écoutons, nous sourions, suspendus à des lèvres. Le théâtre a besoin de ces plaisirs d’enfance. L’homme y revient à lui-même par les chemins du merveilleux. C’est presque se souvenir. Pierre Marcabru, LE FIGARO.

Un pari impossible merveilleusement tenu. Rendre compte sur scène des tribulations d’Ulysse sans trahir Homère, rendre crédible chaque paysage, chaque rencontre – les îles, la mer, les tempêtes, les naufrages, les grottes, le Cyclope, les dieux de l’Olympe et le reste – donner vie et humour à l’épopée (…) c’est ce que vient de réussir de façon exemplaire le Théâtre de Liberté sous l’impulsion d’Arlette Bonnard. D’un bout à l’autre du spectacle, l’imagination, la joie de raconter, l’ivresse de jouer sont au rendez-vous. Les objets se transforment, les personnages se démultiplient, les sentiments et les éléments se déchaînent. On suit la saga d’Ulysse et de ses compagnons comme un suspense de poésie. Un vrai et rare bonheur de théâtre. Caroline Alexander, L’EXPRESS..

(…) Ce très beau spectacle créé à Nanterre par Arlette Bonnard avec des comédiens comme Alain Enjary et Colin Harris s’adresse à tous les publics. (…)
Pris entre l’oubli et la mort, la tentation de la divinité chez Calypso, de l’animalité chez Circé, Ulysse n’est qu’un Grec moyen qui, contre le fracas des dieux, s’obstine à retourner à une vie ordinaire, simple et sacrée. Mais Ulysse (et ses compagnons) c’est aussi l’acteur, parole et corps, temps et espace retrouvés, capable dans une scène comme celle des récits chez Alcinoos de défier en invention les dieux mêmes. C’est un jeu très heureux et très libre, qui nous raconte au delà du pittoresque, et c’est surtout de l’intérieur une magnifique célébration du théâtre. Bernard Raffalli, LE MONDE.

(…) Tout nous semble évident. Et sept comédiens, agiles comme des acrobates, incarnent à eux seuls les dieux et les hommes. Invention superbe dans sa simplicité : les dieux immenses trônent, à l’aise, à une table lilliputienne, tandis que les petits hommes s’empêtrent avec des accessoires gigantesques.
Un beau spectacle, inventif et simple, au service d’un des plus grands textes du monde. Claude-Marie Trémois. TELERAMA.

(…) Une version scénique d’une simplicité attrayante et juste. (…) Peu de choses en vérité mais cela est suffisant à l’évocation : le mouvement très soutenu, les inventions constantes font le reste. Matthieu Galey. LE QUOTIDIEN DE PARIS.

(…) Tout un mouvement imaginaire qui nous retient. Une poésie qui ne se hausse pas, et nous voilà tous attentifs, emportés par le grand voyage, dans la grande houle de la rêverie. Arlette Bonnard, qui a choisi et mis en scène, a du talent et de l’esprit, point de prétention, et l’art de faire vivre des mirages. C’est sympathique, c’est réussi et c’est léger. Les cœurs battent plus vite. Pierre Marcabru. LE POINT.

(…) Imaginez une Odyssée que personne ne connaîtrait parce que toujours lue au travers du philtre des éminents intellectuels fatigants. Voici une interprétation nouvelle, fraîche, enthousiaste. (…) On traverse un monde semi-magique que la troupe incarne avec une imagination débordante. (…) Un texte vieux de quelque 2800 ans, dépoussiéré et vivifié. Sa nouvelle fraîcheur le rend non seulement digestible mais attrayant. Chantal Bernasconi, VOIX OUVRIÈRE.

(…) Homère n’est pas trahi. Au contraire, on redécouvre que l’Odyssée devait être racontée plutôt que lue, que ce conteur qui avait la veine épique, c’est le moins qu’on puisse dire, savait aussi l’humour. La mise en scène, pleine d’inventions, retrouve les rapports des hommes et des dieux, mais également la vraie dimension de la Grèce antique où les puissants rois étaient des chefs de villages. Ajoutons que les acteurs sont excellents et Alain Enjary un Ulysse idéal. L’Odyssée figée par des siècles de doctes analyses, le Théâtre de Liberté nous la restitue telle qu’elle est : un épisode de l’histoire et du rêve humains. LE PROVENÇAL.

(…) L’âge d’or est dans notre regard. Les anciens le savaient qui firent une littérature de sagesse admirative et de ravissement de l’âme devant la béatitude du ciel. Un effort d’imagination, dans ce monde où toute beauté est grabataire, nous est nécessaire pour regagner cet état d’esprit. En adaptant ce conte d’Homère comme une permission à toutes les merveilles de l’enchantement, la troupe du Centre Dramatique de Nanterre a rendu au théâtre, maintenant trop souvent futile au hâbleur, toute l’ampleur de la poésie.  Claude Marneffe, NORD-LITTORAL.

(…) Du charme à la fois puissant et naïf du récit naissent une infinité d’images, parmi lesquelles la voile blanche, « serrée au plus près », selon l’expression des marins : gonflée par Eole, elle se mue en nappe, en drap ou en linceul, dans ce monde où dormir, boire, manger, aimer sont les actes quotidiens d’une navigation exemplaire. À voir absolument. Catherine Unger, LA SUISSE

(…) À cette fraternité partagée, nous convient – et c’est le terme juste, puisque tout aussi bien la table du festin y est presque constamment dressée – les comédiens-joueurs du Théâtre de Liberté, avec cette belle histoire bien racontée. (…)
La plénitude de jeu de chacun des acteurs (« compagnons, nous nous sommes assez rassasiés de larmes, maintenant il faut agir ») n’a d’égal que le rapport juste et égalitaire sans cesse entretenu avec les spectateurs, les joueurs de tous âges. Gérard Lefèvre. TRAVAIL THÉÂTRAL.

(…) Cette incroyable « saga », il fallait une bonne dose de courage pour se risquer à l’adapter en un spectacle de deux heures un quart et surtout parvenir à en restituer l’esprit. Ils sont sept à s’y employer avec bonheur et bonne humeur. Menant leur affaire à un train d’enfer, ils réinstallent parmi les zizanies divines les gigantesques et homériques pérégrinations d’Ulysse sur des mers peu calmées. Avec une idée de mise en scène confinant au génie. Pour restituer ces déchirements entre ciel et terre et cet éternel va-et-vient entre l’humain et le divin, disproportion de taille, c’est le cas de le dire, Arlette Bonnard a conçu un décor fantasmagorique. (…)
Illustrant avec humour et irrespect les plus sanglantes péripéties d’une histoire pleine de bruit et de fureur, soulignant les fulgurances poétiques du texte devenues fleurs de langage et prétextes à sourire, « Ulysse » devient, sous les yeux amusés du public, un spectacle inventé et inventif du jeune théâtre. (…)  Henry-Jean Servat. MIDI LIBRE.

(…) C’est un spectacle drôle, vigoureux, joyeux et à chaque instant l’imagination est au pouvoir. Imaginez vous-mêmes que sept comédiens, dont le metteur en scène, jouent en toute innocence devrais-je dire cette Odyssée, ce livre écrit il y a trente siècles et qui évoque des centaines de personnages. (…) Mais le spectateur suit et ne se perd jamais dans ces constantes métamorphoses… Georges Gros. COURRIER DE GENÈVE.

Il faut un énorme culot pour avoir le projet de jouer « L’Odyssée » d’Homère avec sept comédiens. Arlette Bonnard réussit ce qui semblait pourtant impossible et parvient à raconter les aventures d’Ulysse simplement pour que des adultes et même des enfants puissent y prendre plaisir. (…) Nulle image de cinéma ne pourrait atteindre la beauté poétique de ces scènes… François Tranchant, TRIBUNE DE GENEVE.