Les chaises – extraits de presse

La mise en scène de ces « Chaises » de Ionesco apparaît — au rebours de la tradition — d’une simplicité singulière. L’évocation du vieux couple et de ses fantasmes à la fois funèbres et pompeux s’accomplit dans un face à face où la vieillesse même cesse d’être sordide, pour devenir, si j’ose dire, naturelle. Rien n’est omis de l’horreur, mais une sorte de douceur émane des êtres.
C’est d’abord le travail d’Arlette Bonnard : on n’oublie pas comment après le geste si répété, mais si varié du transport des chaises, la femme dans sa logette aérienne, sur le portant côté jardin, par le ton, par le visage, par toute l ‘expressivité, ôte au carnaval funèbre son caractère irrémédiable. Les spectres convoqués ne tiennent pas en face d’un sourire, et la femme retourne à son profit la danse macabre des chaises. Dans le temps où la voix d’Alain Enjary convoque l’Empereur et sa cour, ces chaises même, au milieu de la sinistre fête du pouvoir, deviennent les briques du rêve.
Qu’en dirait Ionesco ? Il dirait : pourquoi pas ? Et nous aussi qui nous plaisons si fort à cette joie de l’imaginaire. Anne Ubersfeld.

L’éternelle musicalité d’un chef d’œuvre
Il en est parfois des œuvres comme d’une photo oubliée au fond d’un tiroir. On les retrouve un jour et tout un monde surgit à nouveau, frais même si le cliché a jauni, fort même si l’encre est d’époque. Les Chaises, « farce tragique » précisait Ionesco, est une pièce qui n’a jamais vraiment quitté la scène depuis sa création en avril 1952 (…)
Et voilà qu’en l’espace de quelques mois plusieurs productions nouvelles viennent nous rappeler à la profondeur de la fable. A son actualité. Un signe. Alain Timar, Patrick Henniquau, l’été dernier à Avignon, Laurent Pelly et aujourd’hui Arlette Bonnard et Alain Enjary.
Plus de vingt-cinq ans que ces deux-là travaillent ensemble. Inutile de dire que l’une des qualités les plus évidentes de leur mise en scène commune — sous le regard de Christine Tiana et Eric Fassa — tient à la complicité profonde, musicale, qui les unit. Sur le plateau du Paris-Villette, pas d’autre décor que des panneaux suspendus qui, par le jeu des lumières — Eric Fassa — donnent à l’espace quelque chose d’une église engloutie avec sa lampe unique — indiquée par Ionesco — qui remonte aux cintres à la fin. Rien ici que la lettre du texte, avec sa juste respiration, ses régimes changeants, et une manière vitale et franche de s’emparer des « personnages », de les prendre au sérieux de leur jeu, de leur imagination, de leurs angoisses, de leurs bonheurs, de leurs questions. Deux interprètes précis et totalement engagés, fins et déliés se plient à l’humour et aux humeurs sombres de cet Ionesco magistral ponctué des justes sons distillés par Thierry Fournier. A la fin, l’orateur de Jean-François Maenner, ravive l’étrangeté d’une conclusion suspendue.
Une grande pièce, on n’aura jamais fini d’en prendre la mesure, un chef-d’œuvre qui puise dans Pascal ses interrogations et dans le ciel étoilé ses craintes comme des apaisements. Armelle Héliot, LE FIGARO;

De même qu’il n’y a dans la Cantatrice chauve pas l’ombre d’une cantatrice — ni chauve ni velue —, jamais on ne connaîtra le message que le Vieux voulait délivrer au monde, l’Orateur qui le prononce après sa mort n’émettant que des sons inarticulés. Depuis sa création en 1952, la « farce tragique » de Ionesco a été souvent reprise. Cette version-ci a pour originalité d’être moins angoissée que de coutume. Peu importe si l’Orateur reste muet, semblent dire Arlette Bonnard et Alain Enjary, puisque le Vieux meurt heureux, croyant son devoir accompli. Un spectacle réjouissant, très tonique en fin de compte. Jacques Nerson, VALEURS ACTUELLES.

Dans « les Chaises » farce tragique, écrite par Eugène Ionesco en 1952, on retrouve les thèmes chers à l’auteur — l’ennui, la solitude et la mort — servis ici magistralement par la mise en scène implacable et sobre d’Arlette Bonnard et Alain Enjary. Cette création laisse toute sa place au comique qui naît de l’absurde et engendre le désespoir. LE PARISIEN.

L’absence, le vide, la prolifération
Arlette Bonnard et Alain Enjary ont la grâce légère des vieux complices et ce regard d’enfant si cher à Ionesco que seule la maturité permet de retrouver. Sur scène, perdus dans leur grand château, sur une île oubliée du monde, les voilà Sémiramis et Ma Crotte, respectivement 94 et 97 ans. Hôtes d’invisibles convives, ils sont réunis pour écouter l’ « Orateur », appelé à transmettre la philosophie du vieux qui ne le peut plus lui-même. Envahis petit à petit par les chaises de leurs invités, les deux vieux deviennent eux-mêmes de plus en plus transparents, quasi irréels, n’ayant que l’écho de leurs propres mots pour dire l’absurdité de leur condition. Ce « miroir de la conscience » comme le disait Ionesco, les conduira stoïquement au suicide.
« Les Chaises » reste une œuvre majeure sur l’absence, le vide et la prolifération. Une farce tragique — c’est le sous-titre de la pièce — de celui qui porta au plus haut point le comique chargé de questions métaphysiques. Et dont on se demande encore qui de Kafka ou de Beckett fut son véritable équivalent. C’est dans la langue que Ionesco traduit le mieux son questionnement permanent et étonné sur l’incompréhensible monde. Sans cesse et magnifiquement, il bute sur l’énigme vertigineuse du langage dans lequel l’Homme s’enlise, anéanti par la matière dont il ne peut arrêter la « massification ». Mot qu’il inventa pour prévenir la création des menaces dogmatiques et qui fait l’éloge de la singularité et non pas — comme on lui en fit parfois le reproche — de l’individualisme.
Arlette Bonnard et Alain Enjary en ont gardé cette lecture, interprétant avec tendresse ces vieux inoffensifs et leur bonheur imaginaire dans une mise en scène fluide, respectueuse et humble qui se défie des réponses définitives. Un joli moment qui, à défaut de radicalité, se fait partage du bonheur évident qu’ils ont à jouer. Et ce bonheur est contagieux. Anne Quentin, SCENES.

Partition d’encre et de silence
(…) Sur le plateau du Paris-Villette, avec ses arcades naturelles et quelques panneaux suspendus, on est dans une atmosphère d’église avec, suspendue bas, puis remontant aux cintres, la lampe fameuse. Accordés profondément, ces deux comédiens fins et sensibles suivent avec précision le texte du sombre poète aux intuitions lumineuses et c’est musicalement qu’ils apportent leur touche particulière à cette partition d’encre et de silence que clôt l’orateur étrange, Jean-François Maenner. Une très belle manière de retrouver la voix d’Eugène Ionesco, ses angoisses et ses espérances et de prendre la mesure de l’universalité et de l’éternité de son message littéraire et spirituel. Armelle Héliot, L’AVANT SCENE.

Les Chaises, pièce en plein dérangement. (…) Le culot de Ionesco laisse coi, sans compter cette aisance avec laquelle il tutoie l’absurde : c’est pourquoi il agace, c’est pourquoi on l’admire. Prenons la pièce les Chaises, écrite en 1952, et la tension croissante qu’elle inflige au spectateur, pris entre l’envie de savoir jusqu’où grimpera cette scandaleuse lucidité de l’auteur sur la sottise humaine, et le besoin que cela cesse assez vite, enfin : un regard comme ça, c’est pas humain !
(…) Arlette Bonnard et Alain Enjary, ici acteurs et metteurs en scène, ont suivi à la virgule près les didascalies de Ionesco. Cela se ressent à chaque mot prononcé, au fur et à mesure que les regards basculent vers la déraison. La fréquentation scrupuleuse du texte a peut-être généré l’empathie. Sur scène, rien ne laissait présager la cruauté. (…) Bientôt, l’agitation s’emparera des êtres, ils seront dingues, pathétiques, et bien plus, sur un mode très expressif. Une forme unique d’exagération : celle-ci happe l’esprit, effraie, et on y croit. Bientôt, les coups de sonnette se succéderont, tous plus retentissants. (…) Avec quel savoir-faire, alors, ce duo de comédiens parvient à nous faire entendre, endurer, le silence qui succède aux monologues insatiables, aux infatigables courbettes. Les petits vieux sont seuls, les silences innombrables. Parfois dos-à-dos, ces êtres s’adressent chacun à un autre invisible. Chacun empli, débordant d’hypocrisie puis de franche impudeur sur la famille, par exemple. Deux malades dispensant la cathartique phrase de Ionesco. Aude Brédy, L’HUMANITE.

V.J.- La dimension mystique, la réflexion métaphysique, sur la foi, la puissance évocatrice des mots, sur le rien, sur la solitude, sur l’abandon est puissante : on a affaire à du grand théâtre, c’est vrai, et mon esprit a vacillé pendant un temps, j’évoquais en moi-même Beckett – « Godot », etc… Ça raconte la solitude d’un couple de vieilles personnes, quelque chose qui me touche profondément. (…) Ils sont là, dans un décor qui fait penser un petit peu à un grand donjon ; on a l’impression qu’ils sont au pied d’une tour, d’un clocher d’église, il y a quelque chose de religieux dans la scénographie, qui exploite admirablement le vrai lieu, (…) et c’est magnifique : il y a une profondeur, comme ça, de ce décor, qui se fond admirablement avec le lieu réel et qui est tout à fait réussi. (…)
N.G.-C’est aussi ce qui est intéressant dans cette mise en scène : à aucun moment les metteurs en scène ne nous disent « ces vieillards sont fous, ils imaginent tout ». On peut vraiment comprendre la pièce en étant dans leur vision, en étant parfaitement convaincu que les notables, les militaires, l’empereur lui-même, se sont déplacés pour venir entendre le dernier message de ce concierge complètement ordinaire. On est pris dans le jeu, et il n’est pas du tout facile de trancher sur le caractère fantasmatique, ou pas, de ces personnages invisibles. C’est aussi une pièce sur le théâtre et la force de la parole…
V.J.-Les interprétations possibles sont foisonnantes ; ce message, il est délivré par l’orateur, mais il est absolument inaudible. Alors, est-ce nous qui ne comprenons pas un message essentiel, est-ce qu’il n’y a pas de message essentiel ? Il y a cette dimension-là. puis beaucoup de choses qui sont dites sur la famille, le rapport de couple, le deuil aussi. Et puis, je l’ai lu comme un spectacle sur la foi …Ils sont en train d’installer des chaises, qu’on reconnaît tous comme étant des chaises d’église, dont la paille éclaire énormément, puisque c’est la seule couleur un petit peu chaude de l’image, qui, en fait, se divise en du gris, du noir, et ce jaune chair ; la sonnerie de la porte d’entrée devient délirante par moment — l’ingénieur du son s’est vraiment amusé. Ils préparent une messe — c’est comme ça que je le vois — personne ne vient à la messe, mais eux, ils ont quand même la foi, ils y croient, ils croient au message, ils croient que les gens viennent, et Beckett est là, dans cette espèce de foi désespérée … Il y a vraiment quelque chose qui est dit sur la croyance, sur le rituel, sur ces derniers tenants d’une foi, dont on ne connaît ni le A, ni le Z — mais enfin, malgré tout, ils y croient, ils y croient ensemble … Est-ce que c’est un jeu qui se répète tous les soirs, est-ce que c’est ritualisé ? Certains diraient ça. Enfin, c’est tellement riche, l’esprit est tellement sollicité durant la pièce, par ce Ionesco démoniaque et franchement génial, que c’est un texte magique, dans le sens où il nous éveille, il éveille le spectateur, il éveille l’imaginaire, l’intelligence, l’acuité des spectateurs — c’est tellement rare : rien que pour ça il faudrait aller voir ce spectacle…
N.G.- Pour moi, ces deux personnages sont hantés par la foi de la parole ; on est frappé par le leitmotiv du vieil homme qui répète « je m’exprime difficilement, donc il y a l’orateur », alors qu’il est très en verve, il fait un discours magnifique, qui ne s’arrête pas, il est complètement pris par le flux de sa parole, de son imaginaire, et il revit … Il y a une transformation des personnages à partir du début, où le vieil homme est mélancolique, et flamboyant à la fin, où la femme, qui, elle, est très présente au début, s’efface absolument derrière les paroles du vieil homme. C’est une pièce très complexe. La pirouette finale n’est pas seulement non-sens, mais nous fait revoir toute la pièce, rajoute une énigme de plus à une série d’énigmes qui se tient parfaitement…
V.J.- J’ai énormément apprécié ce que fait Arlette Bonnard : elle joue dans une légèreté, dans une puérilité — elle est un peu dansante ; elle a une qualité que j’avais retrouvée chez Michel Bouquet : quand elle dit le texte, on sent qu’elle l’a complètement intériorisé, ça vient du plus profond d’elle-même, de son intelligence, de son âme, de son cœur, on le ressent très bien, parce qu’on le reçoit d’esprit à esprit ; c’est un truc très fort chez les grands comédiens ; elle est vraiment géniale.
N.G.- Moi, j’ai été convaincue par le deux. On va vous dire, vous enjoindre d’aller voir Les Chaises, de Ionesco— c’est un grand moment de théâtre — de découvrir cette mise en scène vraiment magistrale, un spectacle pas seulement sur la vieillesse et la mort, mais au contraire sur la vie, et sur la vitalité de la parole, la créativité de la parole. Naly Gérard, Valérie Judde, RADIO FREQUENCE PLURIELLE.

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