8 heures à la fontaine – animation

Dans le cadre de la tournée en milieu rural organisée par le Centre Dramatique Poitou-Charentes, 8 heures à la fontaine est parfois représenté pour un public d’enfants. Dans ce cas, une intervention dans les classes est proposée aux enseignants :

I­— La présence, dans la classe, de gens de théâtre (acteurs, metteurs en scène, auteurs) nous est souvent apparue particulièrement utile et agréable (pour les enfants, les enseignants, et les praticiens que nous sommes) lorsqu’elle permettait de découvrir ou confirmer par l’expérience, même de façon très simple et ponctuelle, le lien essentiel entre l’écrit et l’oral. Il est important de conserver ce lien, comme celui aussi entre l’abstrait et le concret, le virtuel et le réel ; cela permet au moins de les situer à leurs places respectives et d’éviter des amalgames qui deviennent néfastes s’ils sont trop inconscients.

L’absence de ce lien, peut-être, est en grande partie responsable des difficultés que beaucoup d’enfants, de jeunes gens et de moins jeunes ont avec la lecture (incompréhension, ennui, désaffection, etc.). La lecture à voix haute ou la « récitation » ne pourraient pas être ânonnées, totalement plates, ou « chantonnées », si le lien avec la réalité des images et du sens transmis par le texte écrit, s’établissait suffisamment. Avant les mots, il y a les réalités extérieures et intérieures qu’ils recouvrent. Avant la ponctuation, l’articulation des propositions, la structure de la phrase (quel que soit le nom qu’on leur donne, l’analyse qu’on en fait), il y a la respiration nécessaire à la parole et le rythme naturel ou recomposé de la pensée ou de la fantaisie. Il y a la « présence d’esprit » : conscience, imagination, mémoire corporelle et affective, etc. Or, c’est de cela qu’il est question : être présent à ce qu’on dit, lit ou redit, récite, ici, à ce moment-là, et qu’en principe, on est censé communiquer à d’autres, partager avec d’autres. Il ne s’agit pas de se montrer acteur (au sens professionnel, ni amateur du terme), mais de trouver le déclic, ne serait-ce qu’une fois, grâce auquel, tout à coup, ce qui sur le papier paraît d’abord abstrait, passé et étranger devient un tant soit peu concret, présent et simple.

Dans beaucoup de cas, selon nous, qu’on soit enfant, adolescent, adulte, il suffirait de peu de choses pour dire ou lire à haute voix, de façon assez claire et agréable, un texte — assez pour en faire partager le sens et les images, pour en restituer une certaine fraîcheur d’invention, et intéresser l’auditeur. Il est plus naturel qu’on croit de se mettre soi-même en communication avec un texte écrit, pour l’animer et le communiquer aux autres.

Nous proposerons donc aux enfants ou adolescents un travail simple qui permette d’approcher ce résultat, même de façon très éphémère (puisqu’il s’agira d’un passage d’une ou deux heures dans la classe). Une expérience, même fugitive, laisse des traces ; quelle que soit son intensité, si on parvient à y toucher, elle aura au moins le mérite de montrer que « c’était possible ». Et elle se fait dans les deux sens : du côté de celui qui dit et du côté de ceux qui écoutent.

II — Une « crise de la lecture » irait de pair avec une « crise de l’imaginaire ». On sait bien la présence actuelle de l’image, en puissance et en quantité, qui impose à tout le monde, aux enfants en particulier, un imaginaire tout fait. Même si, au nom du progrès, on trouve nécessaire qu’elle ait cette importance, il est indispensable aussi de préserver des zones libres à l’imagination (de même qu’à la pensée) individuelle et spontanée — naturelle. Le théâtre, comme la lecture, ménage de ces plages : des espaces et des temps de liberté intérieure. Le spectacle « 8 heures à la fontaine » que nous présenterons, parmi d’autres, cette année va dans ce sens. Il tente d’intéresser et de faire rêver, en se passant autant que possible des images, des sons, des rythmes, etc., qui tendent à nous faire oublier tout un monde en nous-mêmes, qu’il suffit de peu de chose, parfois, pour éveiller.

Notre présence dans la classe se fera également dans cette deuxième perspective, en rapport avec le spectacle : aider, un tant soit peu, les enfants à prendre confiance dans leur propre imagination, par l’expérience qu’ils peuvent en faire, ne serait-ce qu’un instant, et à trouver, puis partager, même si cela semble difficile, quelques images, sensations, fantaisies qui ne doivent rien à la télévision, au cinéma, aux jeux électroniques, ni à une vision trop convenue du quotidien.

Une préparation de notre venue en classe par le maître ou la maîtresse est, bien sûr, à prévoir lors de notre rencontre avec eux, et fera sans doute l’objet d’un dossier pédagogique assez simple.

Alain Enjary
Arlette Bonnard

Deux lettres assez longues, personnalisées, qui s’adressent directement aux enfants, peuvent leur être lues par l’enseignant, à quelque temps de distance, et faire l’objet de discussions dans la classe. La première évoque sur le mode familier, à partir des caractéristiques du théâtre en général, et du spectacle qu’ils vont venir voir en particulier, ces relations à l’imagination active personnelle, à la « magie » des représentations intimes, à la lecture, au rêve et leur nécessité pratique, vitale… La seconde lettre, annoncée pour un peu plus tard dans la première, donc plus ou moins attendue par les enfants, raconte d’abord l’écriture de 8 heures à la fontaine, développée à partir d’un « vrai » rêve, présentant une seule situation (l’échange des pierres), un rêve très bref, mais impressionnant, fulgurant (« numineux », dirait C. G. Jung), puis propose un « jeu » :

(…) Le rêve — vous avez entendu — se raconte en quelques secondes, alors que maintenant l’histoire, où, à un moment donné, une femme et un homme s’échangent deux pierres, dure un peu plus d’une heure. On espère que vous serez curieux de savoir tous les détails.

En attendant que nous venions vous voir dans la classe, voilà le jeu que nous vous proposons : est-ce que vous pourriez essayer, vous aussi, d’inventer des détails supplémentaires à ce rêve ? Est-ce que vous pourriez essayer d’imaginer pourquoi ce rêve a semblé si magique ? Qui pourraient bien être cet homme et cette femme, ou ce garçon et cette fille ?  Est-ce que ce sont des humains ordinaires ? Y en a-t-il seulement un qui est humain, et pas l’autre ? Est-ce qu’ils se connaissent depuis longtemps, ou viennent-ils seulement de se rencontrer ? Comment sont-ils arrivés là ? Que pourraient bien être ces pierres qu’ils échangent, et qui ont l’air merveilleuses ?  À quel endroit se passe la scène ?… Vous pouvez encore vous poser plein de questions et vous amuser à y répondre. Ce qui est un peu bizarre, mais qu’on trouve intéressant dans ce jeu c’est que chacun peut se poser les questions qui lui viennent et donner les réponses qui lui plairaient le plus. Personne ne peut avoir faux !

Bien sûr, il y a quelques règles, comme à n’importe quel jeu. La principale, c’est de ne pas copier exactement sur ce qu’on a vu à la télévision ou au cinéma pour imaginer les questions et les réponses. Il vaut mieux attendre que ça vienne, ne pas s’inquiéter si ça ne vient pas. Il ne faut pas se forcer. Mais plutôt penser de temps en temps, tranquillement à cette scène et laisser aller son imagination, son goût, ses envies. Une autre règle, puisque l’histoire a l’air de se passer dans un monde enchanté, c’est de croire que cet autre monde puisse être vrai, à sa façon, comme quand on rêve — vous vous souvenez ? — on croit que le rêve est réel : pas la peine de s’obliger à inventer n’importe quoi juste parce qu’il s’agit d’un monde fantastique, ou que c’est rigolo ! Il est donc préférable d’avoir un peu de patience, pour trouver des détails qui ont l’air sérieux même s’ils sont extraordinaires, drôles ou amusants.

Enfin, ce serait bien que vous écriviez ce que vous aurez imaginé : quelques phrases pour le raconter le mieux possible, ou bien des phrases que se disent les deux personnages, ce qu’ils se répondent — un dialogue, comme on dit. Si certains ou certaines ont envie que ce soit un peu long, d’autres très court, cela n’a pas d’importance. Et s’il y en a qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, ça ne fait rien : ils, ou elles auront peut-être quand même un rêve à eux, ou quelque chose dans ce genre à nous raconter. On peut aussi faire des dessins.

Lorsque nous viendrons dans la classe, nous vous aiderons à dire à haute voix et à jouer ce que vous aurez préparé. Tant mieux si vous le savez par cœur, sinon vous le lirez. Si c’est un dialogue, bien sûr, il serait formidable de le dire à deux — un garçon et une fille par exemple — comme au théâtre. (…)

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