Les piliers – extraits de presse

De l’indifférence des humbles. Quand le roi part, quelle histoire ? Point de trône pris d’assaut par quelque affamé de pouvoir dans Les Piliers, pièce écrite par Alain Enjary et mise en scène par Arlette Bonnard, non, c’est un homme falot, ô combien, qui se verra comme par accident occuper la place laissée par le souverain disparu comme un voleur. L’homme (campé par Alain Enjary), peut-être un passant hébergé pour un temps, se demande au jour le jour s’il va demeurer là et pourquoi alentour — le conseiller du roi enfui, Hervé Laudière — on l’y incite tant alors qu’il peine déjà à gouverner sa molle existence dont il ne trouve guère l’emploi. Pourtant passeront les jours, et peut-être précisément parce qu’il ne trouvera pas de motif précis à sa nouvelle fonction, l’homme, par là même dégagé de toute pression, restera. Il écoutera, patient ou très distrait, les longues et si sinueuses (trop quelquefois : et pour le roi, dont la concentration s’épuisant nous amuse, et pour nous) requêtes d’ordre diplomatique, géographique ou juste amicales, d’émissaires, qu’Arlette Bonnard colore admirablement de prestance naïve, venus de lointaines contrées évoquer la situation insolite de leur peuple…
Singulier texte, à la langue majestueuse et aux saillies ironiques, et moment de théâtre, loin du réalisme et sans pic dramatique — que Les Piliers, éléments gris cernant d’ailleurs les personnages comme le feraient des troncs d’arbres froids. Alain Enjary nous parle ici de l’exercice du pouvoir en toute solitude, de l’indifférence à celui-ci et peut-être au peuple, comme si tombaient les tabous, ou encore de l’indifférence des humbles qui montre ici sans honte son visage et, quelque part, sa beauté. L’auteur se préoccupe avec une fine intelligence de maintes choses encore, touchant à l’humain perdant par éclipses la connaissance lui-même, où parfois l’on s’égare un peu.
 La mise en scène et l’interprétation sont celles d’hommes et de femmes de théâtre qui n’ont plus rien à prouver : tout ici est justesse du rythme, grâce et subtilité ancrées il y a loin. Çà et là, étrangement, on a senti dans Les Piliers comme un souffle venu du Rivage des Syrtes, où pareillement les ferments de l’ordre établi susurrent leur férocité, et aussi quelques ténèbres des Aveugles de Maeterlinck : c’est longtemps dans l’obscurité que le roi nouveau livrera ses tergiversations à des jeunes femmes voulant le retenir. Aude Brédy, L’HUMANITE.

Les Piliers, du grand et beau théâtre comme on n’en voit pas souvent. Un texte très littéraire, extrêmement dense, qui me rappelle l’univers poétique et fantastique de Georges Schéhadé, avec ça et là des touches qui évoquent Beckett ou Ionesco. Arlette Bonnard est lumineuse, la grande classe. Alain Enjary est parfait. Quelle simplicité dans le jeu, quelle humanité ! On ressort sous le charme, avec l’envie de lire ce texte (édité ?), dont on a le sentiment qu’il recèle bien des trésors à côté desquels on est passé. Anne Calmat, FFP.

Le roi a déserté son trône. Parti sans laisser d’adresse, envolé. Le temps passant, on décide de lui trouver un remplaçant. Un homme incolore, inoffensif ; ne serait-ce que pour éviter que quelque importun ne s’autoproclame souverain du royaume.
 Un voyageur qui passait par là se voit proposer le poste ; il sera libre d’abandonner la partie à tout instant. 
Qui est-il ? D’où vient-il ?
 Chaque soir, il fait son bagage — son baluchon, chaque matin, il décide de rester un jour de plus.
 Prendra-t-il goût à l’exercice du pouvoir, lui qui n’en a jamais eu sur le déroulement de sa propre existence ? Saura-t-il, le moment venu, quitter les trois femmes qui veillent à la réalisation de ses désirs ?
 Le nouveau roi (Alain Enjary) reçoit dans la salle du Conseil, sobre comme une cathédrale romane, des messagers venus de provinces ou de pays lointains. Tous ont le visage rayonnant d’Arlette Bonnard. Il écoute leurs doléances, leurs récits, parfois logorrhéiques, toujours minutieux. Ils dissertent, philosophent, le plongent de temps à autre dans un abîme de perplexité. Lui, reste silencieux, attend, avec aux lèvres un sourire que l’on devine bienveillant. Il arrive que quelques spectateurs s’échappent de ces flots de paroles, que par courtoisie le petit roi n’a pas voulu endiguer. Il admet d’ailleurs volontiers « n’y avoir rien compris ». Dans la salle du Petit Saint-Martin, des murmures et des rires complices confirment que certains se sont, eux aussi, perdus dans les méandres d’un récit par trop alambiqué. Mais qu’importe, le messager suivant a tôt fait d’emmener son auditoire sur des rivages où le sable contient des filaments d’or et où une Belle devenue Bête attend celui qui saura mettre en lumière la splendeur de son être. « Celui qui percevra l’éclat sous le barbouillage ».
 Il y a du Cocteau chez Alain Enjary. Le vieux Iorel (Denis Llorca), gardien d’un passage secret dans la muraille d’enceinte du château, évoque Jean Marais dans Le Roi Lear.
 Du Cocteau, mais aussi du Beckett et du Ionesco.
 On l’aura compris, cette fable métaphorique pose des questions pour lesquelles il n’y a pas toujours de réponse.
 Du théâtre comme on aimerait en voir plus souvent. Une écriture foisonnante et poétique, dans laquelle l’humour est loin d’être une exception. On ressort sous le charme, avec l’envie de lire ce texte, dont on a l’impression qu’il recèle encore bien des trésors, à côté desquels on est passé.
 Messieurs les éditeurs, à vous de jouer. Anne Calmat, FREQUENCE PARIS PLURIELLE.

Ainsi que le disait Antonioni à Mark Rothko : « Mes films sont comme vos tableaux. 
Ils ne parlent de rien, mais avec précision. »
« Un homme de passage a été prié d’occuper la place du roi absent, justement parce qu’il n’y tient pas et qu’il peut repartir du jour au lendemain. (…) »
 C’est ainsi qu’Alain Enjary raconte sa nouvelle pièce (mise en scène et scénographie : Arlette Bonnard). Déconcertante ? Non, sans doute, pour ceux qui ont vu les précédentes. Mais sûrement un peu si l’on pénètre pour la première fois dans ce drôle de pays qui est celui d’Alain Enjary et de sa complice — metteur en scène et actrice géniale — Arlette Bonnard. Un pays qui se situe quelque part entre Beckett et les « Mille et une nuit ».
Si par moments, on a l’impression de « décrocher » un peu, écrasé sous le poids de tant de mots, tant pis — ou plutôt tant mieux. Car ce n’est pas « décrocher » que se laisser soudain porter par la couleur d’un mot, par une rime, par une émotion. C’est même exactement le contraire : c’est devenir coauteur et entrer de plain-pied dans un monde si vaste (« Le Vaste Monde » est d’ailleurs le titre d’une pièce d’Alain Enjary) que tout y devient possible. Car Enjary a toujours voulu concilier l’inconciliable : le conscient et l’inconscient, la raison et l’irrationnel, la poésie et la philosophie. Autrement dit : l’intelligence et le rêve. Claude-Marie Trémois, ESPRIT.



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