Oui – préparation

Parler tout haut à des absents n’importe où et n’importe quand n’a plus rien d’étonnant. Mais Celle qui parle ainsi, dans OUI, n’a pas de fil, ni d’oreillette, de micro, de sonnerie ou de clavier, pas d’appareil. Cela aussi pourrait ne pas sembler étrange : comme ce qui progresse s’empresse d’être banal, on risquerait de conclure à un simple futur, où des greffes de puces, nano machines, etc.,trafics chimiques, génétiques, ou savoir quoi, amplifieraient nos émissions et nos réceptions cérébrales, boosteraient communications et circulations neuronales, on se croirait dans de la science-fiction — ce qui n’est pas le cas. Cela pourrait paraître normal, aussi, si on jugeait qu’Elle, elle n’était pas dans un état normal, qu’elle n’avait pas, ou plus, pour telle ou telle raison, ou faute de raison, le sens de la réalité — ce qui n’est pas juste.

Autant donc se passer de théories ou d’hypothèses du genre physique, psychologique, et tant qu’on y est, ne pas s’en remettre non plus à d’autres d’ordre métaphysique, philosophique, ni en bâtir de nouvelles de type féerique, fantastique — bref, ne pas se casser la tête !

Telle qu’elle est, cette femme répond aux appels qu’elle reçoit de gens qui ne sont pas là, c’est un postulat, à prendre tel quel, et tel qu’Elle le prend, simplement et concrètement. C’est étrange et réel, invraisemblable et vrai. On est bien assez grands pour s’offrir le luxe un moment de se passer d’explications ? Se permettre d’être étonnés en prenant les choses comme elles sont ? Comme Elle, avec une confiance, face à ce qui arrive, tout aussi surprenante, une utopique tranquillité devant ce qui est — car plus étrange encore que sa situation est son naturel à la vivre. Il n’y a plus qu’à l’écouter la raconter en bribes à ses correspondants absents, et nous, présents comme elle, à en faire aussi l’expérience.

Elle est là, dans une demeure, un domaine trop vaste pour elle, elle sait qu’elle ne sait pas ou qu’elle a oublié pourquoi, et elle n’en fait pas tout un plat ; le propriétaire ne vient pas, semble avoir toujours autre chose à faire ; elle reçoit des appels, sans pouvoir en donner ; pour elle, c’est naturel, y compris les questions que ça pose, et même l’angoisse qu’à la fin, peut-être, ça suppose.  Que celui qui n’est pas un mystère pour lui-même lui jette la première réponse …

Quant à parler à des absents, qui sait si sous les habitudes  contemporaines téléphoniques, informatiques, les prosaïques addictions technologiques au virtuel, il n’y aurait pas des secrets élémentaires et surprenants ? Par exemple, l’ancien et poétique instinct d’aimer loin pour mieux désirer, par-delà l’espace et le temps, la tragique soif d’un ailleurs, l’antique aspiration à l’Autre, à l’inconnu, au vraiment autre, l’éternelle panique, en même temps, de vivre une pareille différence, ce qui pourtant, peut-être, rendrait chacun, chacune enfin entier, inaliénable, insaisissable, irremplaçable, solidaire parce que solitaire ? Ou encore, justement, l’énigmatique réalité de notre solitude peuplée ?

Alain Enjary

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