La sente étroite du bout du monde – présentation

LA SENTE ÉTROITE DU BOUT DU MONDE, Haïkaï, d’après Bashô, Buson, Issa, Shiki, etc. Adaptation, mise en scène, scénographie et jeu Arlette Bonnard, Yves Collet, Alain Enjary, Danielle Van Bercheycke. Production  Atelier 8. Créé le 27 Juin 1985. Festival Européen de Blois. Reprise Théâtre de la Tempête Paris. T.G.P. Sartrouville, Théâtre des Quartiers d’Ivry. Festival de Fort-de-France.

Sur d’anciennes traces…
Un long chemin, sur plusieurs siècles, jalonné par quelques grands maîtres, dont on a reconnu l’universalité, conduit des formes de la poésie traditionnelle japonaise, au haïku, ainsi devenu un sentier poétique étroit, une sorte de quintessence… on pourrait qualifier ce chemin de spirituel, si chez nous, trop souvent, une définition n’excluait son contraire.

Entre deux mondes
Or le haïkaï, puis le haïku, fulgurants croquis ramenés de longs voyages intérieurs, ne sont aussi que quelques notes, d’une extrême simplicité, sur ce qui peut se présenter d’ordinaire à n’importe qui vit et regarde autour de lui, reste sur place, ou se promène, sans jamais dépasser les frontières de ce monde…

Un étroit sentier
Qu’il soit serti dans la prose (haïbun) ou enchaîné à d’autres (haïkaï) au cours de réunions — chaque participant les improvisant à son tour — puis de compilations pour fixer en recueil des suites, alors recomposées, corrigées, discutées, calligraphiées, ou qu’il soit fait isolément, comme la pratique aujourd’hui s’en est perpétuée (haïku), le poème a juste trois vers, de 5/7/5 syllabes.

A travers l’espace

Il est donc tout près du silence, et par lui la pensée chemine au bord du vide de l’esprit, le long du Rien, qui est bien sûr ce qu’il y a de plus près de Tout, puisqu’à chaque seconde quoi que ce soit y a sa place et qui que ce soit de l’espace. Le haïkaï est une tentative, peut-être bien le plus « pointue », comme on dit aujourd’hui, pour explorer les zones frontières du banal et de l’indicible, du connu et du mystérieux, de l’être et de non-être…

Suivi par un enfant
Comme souvent en Orient, c’est une dialectique en acte. Cette pratique, dans le fond s’organise autour de Bashô (1644-1694), avant, pendant, après. Il n’a jamais fixé aucune théorie, mais ses disciples ont témoigné :
« Dans l’art du Maître, il y a l’invariant pour dix mille âges, il y a les variations de l’instant. Ce sont là deux extrêmes, dont le fondement est unique. Et ce principe unique, c’est la vérité de l’art. »
« Si le Maître se plaisait à dire : « Laissez faire du haïkaï aux bambins de trois pieds de haut ! »  ou encore « les versets d’un novice sont un plaisir ! », c’était une manière de dénoncer les travers des gens adroits. »

Ou durant toute une vie
Et pourtant il disait aussi : « S’exercer est l’affaire de chaque instant. Une fois en place, ne laissez pas l’espace d’un cheveu entre le plateau à écrire et vous »…
« La prose que l’on écrit dans l’esprit du haïkaï est du haïkaï-bun (« haïkaï en prose »). Et les vers que l’on compose de la sorte sont du haïkaï-ka (« haïkaï en vers »). Et celui qui l’agit dans sa vie est un homme de haïkaï ».

Pour l’or, pas pour les cuivres
« Toutefois se donner des airs de grand connaisseur, rompre avec la tradition et, tout fier de ne pas faire comme tout le monde, se répandre en vains discours, est proprement odieux. Pareil étalage de vanité prétentieuse ne mérite point le nom de haïkaï-renga, mais serait une manière toute personnelle que l’on pourrait qualifier de haïkaï trompette ou tintamarre ».

« La Sente Etroite du Bout du Monde », titre emprunté à un haïbun de Bashô, est donc, en quelque sorte, une tentative de « haïkaï théâtre » ! Le danger est très grand de faire du haïkaï trompette. D’autant que dans un monde où il faut toujours s’affirmer, s’exprimer, s’expliquer, il est difficile de trouver la transparence, l’insignifiance qui laisserait à chacun la chance de découvrir, de vérifier, et de réaliser un sens.

Alain Enjary

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