Archives mensuelles pour juillet 1997

Le recueil des petites heures – présentation

Paul Gauguin : “La vision du sermon ou La lutte avec l’ange” (détail)

LE RECUEIL DES PETITES HEURES (I et II : LE CARILLON, LES FENETRES, BRUINE, ENTRE TROIS ET QUATRE, SANS TITRE), d’Alain Enjary. Mise en scène et scénographie Arlette Bonnard. Lumières Eric Fassa. Réalisation du décor Eric Fassa et Anne Buffat. Production AMBRE. Création de la version intégrale continue le 5 juillet 1997 à l’Étoile, La Courneuve. Reprise, janvier 1998, à l’Étoile, et au Théâtre des Provinces du Monde, Blois. Reprise au Théâtre Paris-Villette du 6 mars au 11 avril 1999. Coproduction Ambre, Théâtre Paris-Villette, avec l’aide de l’ADAMI et de la Fondation Beaumarchais. Texte intégral édité à l’Avant-Scène Théâtre. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary, Jean-Philippe Lo Crasto, Jean-François Maenner, Danièle Marty.

Edition :

ÉCRITURE
“Le Recueil des petites heures” n’est pas un grand spectacle-fleuve, mais un réseau de pièces brèves, au bord desquelles se dessine, sinon un univers, du moins un paysage, qu’on espère accueillant, singulier, en même temps, familier et dépaysant.
On peut voir une ou deux des pièces du “Recueil”, ou trois, quatre, voire cinq, en un seul jour ou en plusieurs. Elles sont en résonance entre elles, comme en musique les variations développent ou cachent les thèmes, mais chacune raconte une histoire à part, chaque fois dans un temps et dans un lieu unique, temps et lieux de passage, lisières en quelque sorte.
À l’origine de la première, il y a peut-être l’expérience que si on ne peut pas “être et avoir été”, il n’empêche que le passé — jeunesse, vigueur, et ce qui s’ensuit, appétit, utopie — continue à couver et peut faire irruption tout à coup dans une vie rangée ; d’autres thèmes s’y mêlent au fur et à mesure, mais on peut simplement la voir comme une comédie policière, qui tendrait vers la science-fiction.
La deuxième pourrait illustrer, d’une certaine façon, un double paradoxe : l’amour qu’on porte à sa prison permettrait qu’on en sorte ; un homme, une femme, y communiquent sans se voir, ignorent tout de leur sort, et, sans souvenirs ni espoirs, ne semblent pas en être outre mesure gênés, ce qui, même pour ceux qui n’en ont guère plus, rend l’aventure assez étrange ; l’argument s’apparente donc plutôt au genre fantastique.
La troisième, la plus abstraite, et la plus brève, pousse aux limites l’exploration de ces passages, de ces seuils, elle pose un intervalle zéro, part du principe que, par exemple, entre ici et là à côté, autre part et ailleurs tout près, entre juste avant et maintenant, à présent et tout de suite après, il n’y a rien, personne, que c’est nulle part, jamais, et postule que pourtant des ombres s’y égarent, que même certaines courent l’aventure d’être où personne n’a lieu d’être et où rien ne peut avoir lieu, ce qui est assez drôle à voir pour quiconque est certain d’exister quelque part où n’importe quoi d’autre existe (pour ainsi dire tout). On peut donc la considérer comme une pièce absurde, ou un jeu, une acrobatie, ou une sorte de farce…
Il y a dans la quatrième des rêveries du genre : “qu’est-ce qui empêche de dévier d’un chemin qui paraît trop droit, qu’on aimerait mieux plus sinueux, aventureux ?”, et puis encore : “si l’aventure est ce qui advient, l’occasion qui se présente, il advient toujours quelque chose, les occasions ne manquent pas, qu’on les saisisse à bras-le-corps, ou les laisse passer de loin, ou les effleure, certaines, et obtienne d’elles une caresse, à peine, un parfum qu’on n’oubliera pas, une vaine promesse, n’est-ce pas toujours l’aventure ?”, etc. Sans doute que dans la quatrième il y a un fond de nostalgie, mais on peut se passer d’aller voir ce qu’il y a au fond. Elle commence comme une comédie sentimentale, même un peu plus, se poursuit comme un vaudeville, et finit brusquement par un coup de théâtre, comme un coup du destin, qui pourrait paraître tragique, mais pas ici, non, tout au plus énigmatique.
Dans la cinquième arrive ce qui devait arriver, à force d’explorer et de passer des seuils, c’est celui qui sépare la scène de la salle qui est soudain franchi, le quatrième mur du théâtre s’efface, et ceux qui sont les personnages regardent ceux qui les regardent, ce qui est inventé s’épanche dans ce qui est vrai, l’inverse est vrai aussi, et comment colmater la brèche, sortir de cette situation, mais comment sortir de son rôle quand même la question d’en sortir fait partie du rôle, comment sortir de ce qui est écrit quand la révolte l’est aussi, de ce piège où on tourne en rond, de cette pièce, du théâtre ?…
La proximité d’autres mondes, la succession d’autres états, et le passage de l’un dans l’autre sont peut-être le thème principal des cinq pièces, et chaque fois sur ces seuils il y a comme un gardien, ou un guide — qu’importe ? — adversaire ou allié, on ne sait pas, il faut l’empoigner, c’est tout, à un moment donné, le terrasser ou l’enlacer, ça tient de la danse ou de la lutte, ça n’a pas de durée à proprement parler, à se demander si ça a lieu, c’est un combat étrange — est-ce qu’on n’a pas appelé ça le combat avec l’ange ?…

Alain Enjary


RÉALISATION
Chacune des pièces du “Recueil” se situe dans un lieu précis : arrière-boutique pour “Le carillon”, cellules séparées pour “Les fenêtres”, lisière d’un mur pour “Bruine”, salon donnant sur un couloir pour “Entre trois et quatre”, et, au sortir d’un labyrinthe, la scène elle-même pour “Sans titre”.
Un dispositif unique et transformable permet de passer rapidement d’un espace à l’autre : un long mur percé de plusieurs ouvertures — occultées ou aménagées avec des battants de porte, des tentures, des volets, des placards, des barreaux, ou simplement béantes — peut recevoir, fixées perpendiculairement, des cloisons (dont certaines avec porte ou fenêtre) qui découpent l’étroite aire de jeu en différentes alvéoles.
Le mur long de dix mètres, haut de deux mètres cinquante, est visible en entier, il “flotte” dans l’espace, il est à lui seul la boîte à jouer (sans plafond) et contient ses propres coulisses, avec les cloisons, les meubles, les accessoires nécessaires, les costumes… les acteurs. Sa peinture, composée de façon à évoquer comme des passages de nuages, ou simplement le passage du temps qui l’aurait travaillé, contrarie  — par sa dynamique — son immobilité, le “déréalise” légèrement.
La lumière, traitée par moments en grands pans obliques qui découpent l’espace presque arbitrairement en zones contrastées peut, d’autres fois, jouer le réalisme d’une ambiance très précise (nuit avec bougie, ou lanterne, lever du jour par une fenêtre, etc…)
On est toujours, dans “Le recueil”, à la frontière du concret et de l’abstrait, du familier et du mystérieux, du quotidien et du fantastique.
S’il est nécessaire, pour la lisibilité de l’action, de décrire clairement un lieu, avec, éventuellement ce qu’il faut de meubles et d’accessoires, il restera suffisamment vague pour qu’il invite le spectateur à le charger de sa propre vision. Il est donc plutôt un support à l’imaginaire qu’une image imposée.
Les costumes aussi, tout en restant seyants et souples, profitent de la neutralité du vêtement contemporain : blouse, manteau, imperméable, veste peuvent être portés par les hommes comme par les femmes. Sans du tout évacuer la sensualité liée aux sexes, au contraire, ils illustrent une certaine androgynie, une égalité, peut-être pour rendre la sexualité justement plus secrète, plus mystérieuse ; et ils ont ce caractère aussi de “demi-saisons”, de passages d’un temps à un autre. Si on est dedans, on est en train de s’habiller, ou si on entre, on n’enlève pas encore ses vêtements de dehors, comme si on allait bientôt ressortir ; dans un cas comme dans l’autre, on ne s’installe pas.
Cinq acteurs se partagent cette partition, qui requiert d’eux un jeu clair, presque transparent et essentiellement énergique. Clarté et énergie pour tenter de restituer le “voyage” de l’écriture, ses dédales, ses fausses pistes, ses culs-de-sac, ses nouveaux départs, son humour, sa naïveté. Les personnages semblent venir d’avant ou d’après la psychologie ; ils ne sont pas embarrassés d’arrière-plans, de distance, ils sont de plain-pied, ils sont dans l’action, dans ce qu’ils font et dans ce qu’ils disent. Pourtant leur vie “sur le théâtre” n’est pas longue (ni ce qu’on peut appeler héroïque), le temps d’un acte entre deux seuils, mais ils ont comme un appétit d’être là, à la fois étonnés et contents de leur présence physique et de leur présence d’esprit. Comme si c’était cette présence dans l’ordinaire qui était la clé, le passage étroit mais ouvert sur l’extraordinaire, l’aventure, la fantaisie, le rire, des espaces peut-être plus vastes et plus subtils.
Le jeu de l’acteur tente donc aussi de se rallier à ce principe qui voudrait que le véritable spectacle se trouve à la jonction de ce qui est proposé sur scène et de ce qui est recomposé par chaque spectateur. Là se trouverait la connivence, l’instant partagé, le théâtre comme art vivant.

Arlette Bonnard

Dans l’ordre : Le carillon, Les fenêtres, Bruine, Entre trois et quatre, Sans titre.



Le recueil des petites heures – photos

Photos Felipe Martinez et Mathieu Huez (noir et blanc)

Le recueil des petites heures – extraits de presse

Le mythe et le quotidien : Le Recueil des petites heures
Il arrive qu’un écrivain trouve le moyen de rester auprès de nous, tout près, à nous toucher,  — et nous emmener à des distances capables de nous donner un certain vertige. Un secret d’abord : ne pas satisfaire notre curiosité. Dans ces petites heures, nous ne saurons jamais du Commerçant et du Visiteur où va les conduire leur voyage ni quel est le pays où l’on a mis dans deux cellules jumelles Elle et Lui qui s’ignorent et se rejoindront à la fin, ni dans le plus beau peut-être de ces textes, Entre trois et quatre, qui est cette Autre séparant à jamais un couple naissant. Nous ne savons pas, nous aimerions peut-être savoir et peut-être pas, comme dans un autre texte du même auteur Sept, où le mystère au fil des paroles à la fois s’épaissit et s’allège. Et le spectateur joue avec ces Inconnus, — avec ces inconnues.
Pourquoi ? C’est qu’il comprend tout à coup ce qu’on est en train de lui dire. Et c’est le second secret de cette écriture : apporter ce sans quoi le théâtre n’est qu’une aimable distraction, la dimension du mythe. Un théâtre du mythe : Sept était le mythe du voyage de la mort, du passage fatal. Chacune des fables du Recueil est un petit mythe ; et ce qui se passe à chaque fois, c’est la transformation ironique d’une histoire sinon banale, en tout cas appartenant à un genre connu — en un obscur mythe de la destinée. (…)
Et ce qu’apporte l’écriture, c’est dans ces textes un moment, celui où la parole du quotidien devient tout à coup, sans paraître changer, la parole poétique : c’est ainsi que nous recevons, excités par l’incorrection même de la parole “étrangère”, l’étonnant récit de l’amour manqué dans Entre trois et quatre — parole devenue celle-même de la mémoire — ou dans Les Fenêtres, l’ironie de l’Homme moquant les prisonniers qui n’osent sortir de leur prison. Le travail du poétique ici, tout à fait théâtral, c’est le mouvement même de la phrase, l’élan du langage, qui transfigure le discours. Le poétique alors, s’élevant du quotidien, rejoint sans effort le mythe. Anne Ubersfeld, L’AVANT-SCÈNE.

Si l’art est ce qui permet de dire l’indicible, alors le théâtre selon Alain Enjary et Arlette Bonnard est du très grand art. (…) Ensemble, d’un spectacle à l’autre, ils vont osciller entre l’infiniment grand (Ulysse ou Pantagruel, d’après Rabelais) et l’infiniment petit (La Sente étroite du bout du monde, montage de haïkaï, ces minuscules poèmes japonais). “Le haïku, comme une petite graine qui contient déjà tout.”
Définition qui pourrait s’appliquer à toutes les pièces d’Alain Enjary. En particulier à sa trilogie : Lila, Le Château dans les entrepôts et Nord-Est, et à ce Recueil des petites heures, qui réunit cinq pièces, courtes, drôles, intrigantes. Comme la mythologie hindoue, elles peuvent se lire à plusieurs niveaux : polar, aventures, science-fiction… ou quête métaphysique. Le moteur de son œuvre, c’est la nostalgie de l’enfance, d’une transparence à retrouver après être passé par la conscience et la culture. (…)
On marche beaucoup dans le théâtre d’Alain Enjary. Et quand le voyage n’est pas le corps même de la pièce, il en est toujours l’aboutissement. Chacune des cinq pièces de ce Recueil des petites heures s’achève sur un départ qui ressemble à une évasion.
Fugace, évanescente, légère, ténue, fragile, mince, impalpable, mais pourtant exacte, précise, méticuleuse… Les mêmes adjectifs reviennent sans cesse pour qualifier l’œuvre d’Alain Enjary. On est très proche du ” je ne sais quoi ” et du ” presque rien ” de Jankélévitch. Ils sont de la même famille, tous deux disciples de Bergson. (…)
C’est bien d’une langue nouvelle qu’il s’agit. Une langue qui pourrait s’apparenter à celle de Jean Tardieu, de Roland Dubillard ou de Nathalie Sarraute en raison de l’amour passionné que tous les quatre portent aux mots, si chacun ne les utilisait à des fins diamétralement opposées. (…) Enjary, lui, les choisit avec une précision méticuleuse : ses personnages hésitent, tâtonnent, se corrigent avec l’obsession maniaque de dire vrai pour penser juste. (…)
Enfin, de chaque pièce nous sommes co-créateurs. On imagine ce que ne nous montre pas Arlette Bonnard : les labyrinthes, les corridors, les escaliers, les cours, les caves, les jardins clos, suspendus, les ruelles, les grottes… tous ces lieux dans lesquels errent les personnages d’Alain Enjary en quête d’une échappée vers un autre lieu sans nom — puisqu’on ne pourra le nommer que lorsqu’on y sera et qu’on ne peut qu’y tendre sans jamais l’atteindre. Et l’on pressent aussi, vaguement, ce que pourrait être ce lieu, différent pour chacun. Car c’est à chacun de nous que revient le soin de déchiffrer et de poursuivre ces pièces en forme d’énigmes. (…) L’inachevé, comme une trouée qui ouvre sur tous les possibles. Claude-Marie Trémois, ESPRIT.

Magnifique ! Au théâtre Paris-Villette, Alain Enjary et Arlette Bonnard proposent “Le Recueil des petites heures”. Composé de cinq pièces que l’on peut voir séparément ce spectacle est de belle qualité. “Sans titre” est passionnant et tente de réfléchir sur la liberté humaine. Un homme découvre un livre où tout ce qu’il dit et tout ce qu’il va dire est écrit. L’affaire est poussée théâtralement jusqu’au bout et le vertige nous prend (…). Manque un relais religieux et psychologique qui nous rendrait pleinement heureux.
Avec “Entre trois et quatre”, on assiste à la confrontation d’un couple et d’une jeune étrangère qui, sans le vouloir (mais est-ce si simple ?), brise un amour qui allait renaître. C’est magnifique. Un petit chef d’œuvre d’intelligence, d’esprit, de connaissance psychologique et même d’humour. Les trois comédiens Danièle Marty, Alain Enjary et surtout Arlette Bonnard sont extraordinaires. Il faut y courir. “Bruine” ne m’a pas convaincu et je n’ai pas vu les deux autres. Jean-Luc Jeener, FIGAROSCOPE.

Écrites par le comédien-metteur en scène Alain Enjary, les cinq pièces du Recueil recèlent chacune un mystère et un mythe. Entre absurde et science-fiction, elles tissent un univers à la fois familier et bizarre, de rire et d’effroi. Bruine en particulier, courte farce sur le miracle de l’existence et du langage, vaut le déplacement. Émouvante et inquiète, elle nous embarque dans un théâtre contemporain fait d’ombres et d’énigmes. À part et à découvrir. Alexis Campion, LE JOURNAL DU DIMANCHE.

Le Recueil des petites heures. Ce titre est une métaphore, déclinée en cinq pièces brèves, où l’on abandonne le temps commun pour retrouver ces instants fugitifs vécus comme autant de passerelles mariant le réel au féerique, l’intime au collectif. Un long mur percé de portes et de fenêtres (décor naturel de Bruine, pièce abstraite où la chorégraphie des corps et la distribution du texte s’articulent autour d’un mur, lieu frontière idéal) fait tour à tour office d’arrière-boutique (Le Carillon), de cellules séparées (Les Fenêtres), de salon (Entre trois et quatre), et, tout simplement, de scène (Sans titre). Bel exercice pour les acteurs, qui passent allègrement de l’onirisme pur à la comédie des sentiments, de la farce au genre policier. La longue complicité d’Arlette Bonnard et d’Alain Enjary — elle à la mise en scène, lui à l’écriture — produit une belle et rare cohésion d’ensemble. Fabienne Arvers, L’EXPRESS.

 Le Recueil des petites heures d’Alain Enjary. Elles sont au nombre de cinq. Cinq pièces énigmatiques d’un peu moins de soixante minutes chacune, où le quotidien se teinte de polar et de fantastique pour venir tutoyer le métaphysique. Cinq pièces philosophiques dans une atmosphère en noir, blanc et gris. De cet univers kafkaïen se dégage une poésie étrange qui, sobrement mise en scène par Arlette Bonnard, exprime avec une dérangeante acuité l’absurde et les espoirs de notre condition humaine. Grégoire Leménager, LE NOUVEL OBSERVATEUR.

5 pièces brèves, à voir en ordre dispersé ou en intégrale, formant un réseau spéculatif sur la langue, la parole, l’invention du monde et celle du sacré, au sortir des cavernes premières, pour aller jusqu’aux énigmes de la communication, jusqu’à l’Enigme Communicante. Enjary connaît son Borgès par cœur et le théâtre de l’absurde avec ses agencements de dialogues au sens cassé, caché, échos d’une lointaine demeure aux clés dispersées. Archange ou Archidiable, une intelligence veille. Piotr Gourmandisch, ROUGE.

Entre trois et quatre, chez les habitants du XIXème arrondissement. (…) La métamorphose s’opère doucement avec le texte riche et profond d’Alain Enjary. (…) Cette proximité avec les comédiens procure un sentiment unique : celui d’avoir rencontré une œuvre, son auteur et ses interprètes. Et personne n’a besoin d’être un grand intellectuel pour profiter de ce théâtre-là. Il est charnel, présent. Maëlle Flot, LE PARISIEN.


Le recueil des petites heures – annexe (présentation de la première partie)

LE RECUEIL DES PETITES HEURES (I: LE CARILLON et LES FENETRES), d’Alain Enjary. Mise en scène et scénographie Arlette Bonnard. Lumières Eric Fassa. Réalisation du décor Eric Fassa et Anne Buffat. Prod. AMBRE. Créé le 3 Novembre 1994. Théâtre “Le Vanves”, Vanves. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary, Jean-Philippe  Lo Crasto, Jean-François Maenner.

“Le Recueil des petites heures”, dont sont extraits “Le carillon” et “Les fenêtres” (et dont nous espérons bientôt mettre en lumière d’autres pièces, telles que, par exemple, “Le poste”, “Revenant” ou “La convocation”, ou “Bruine”), date de la fin du xx ème siècle. Certaines de ses composantes sont peut-être antérieures — postérieures non, à notre avis, aucune, et nous sommes prêts là-dessus à affronter certains spécialistes ainsi que nous l’avons déjà fait (à propos de deux autres compilations ou du pseudo-dernier livre d’A. Nasier, pour lequel, inversement, nous avons établi qu’il était à l’évidence plus tardif que le reste du corpus). Car ce qu’on pourra déceler comme postérieur dans le recueil n’est, selon nous, que le reflet d’une tendance littéraire répandue au XX ème et consistant à projeter dans le futur les structures de base, au fond, de tout récit, et d’inverser en quelque sorte “il était une fois” en “il sera une fois”, ce qui revient au même puisque de tout temps le sujet n’est, n’a été et ne sera que le sempiternel présent, sinon il y a belle lurette que plein d’antiques célébrités ne seraient aujourd’hui qu’illustres inconnus. A noter que d’ailleurs, la notion d’heure brève  est une des plus durables ; sans parler de celles du plaisir, les longues heures d’ennui, un jour, ne semblent pas avoir été moins fugitives que d’autres, ni même les interminables heures de la douleur, puisque les hommes ont pu se figurer l’Enfer, sans doute par besoin d’infini, d’absolu, serait-il dans le Mal. Il n’y a même plus d’heures dans le recueil, à vrai dire, mais des entre-deux heures plutôt, ou entre-deux séries d’heures, fin de l’une et début d’une autre, des seuils, du genre du crépuscule, ou de l’aube, ou du pont sans cesse passé entre hier et demain, l’immédiat présent toujours, quoi ! C’est peut-être pourquoi les pièces du recueil sont encore tellement méconnues, voire totalement ignorées, car ainsi elles existent à peine, elles ne sont presque rien, comme si elles illustraient — forcément avec transparence — l’ancienne sagesse des peuples : “Avant l’heure ce n’est pas l’heure, après l’heure ce n’est plus l’heure”. Puisse la tentative pour les faire connaître alléger tant soit peu le temps, et ce soir, également, faire passer aux curieux deux heures comme si de rien n’était, ou presque !…

Alain Enjary