Animaux suivis d’Autres animaux – présentation

Conception graphique Raphaële Enjary

ANIMAUX, d’Alain Enjary. (Premier volet, première version) Mise en espace Arlette Bonnard. Production AMBRE, Les Chantiers de Blaye. Création le 4 septembre 1998. Festival « Les Chantiers de Blaye ». Avec Pierre Baux, Arlette Bonnard, Alain Enjary, Martine Froment, Stéphanie Liesenfeld, Violaine Schwartz.


ANIMAUX, d’Alain Enjary. Mise en scène Arlette Bonnard. Lumières Eric Fassa. Production AMBRE, Les Chantiers de Blaye, Théâtre Paris-Villette.  Créé le 28 août 99 au Festival « Les Chantiers de Blaye ». Reprise du 6 au 18 déc. 99 au Théâtre Paris-Villette. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary, Martine Froment, Stéphanie Liesenfeld, Carine Yvart, Laurent Ziserman.


ANIMAUX suivis d’AUTRES ANIMAUX, d’Alain Enjary, mise en scène  et scénographie d’Arlette Bonnard. Lumières Eric Fassa. Production AMBRE, Centre Dramatique Poitou-Charentes, Théâtre Paris-Villette. Créé le 18 octobre 2000 à Cap Sud (Scène Nationale) Poitiers, reprise du 14 novembre au 23 décembre 2000 au Théâtre Paris-Villette, tournée en France printemps et automne 2001. « Printemps sans chapiteau » en Poitou-Charentes en 2003. Représentations programmées au Colibri, Avignon, annulées suite aux évènements du Festival 2003. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary, Martine Froment, Stéphanie Liesenfeld, Carine Yvart, Laurent Ziserman.

Edition :


Au commencement il y a eu un premier mouvement, plutôt qu’une première idée, et même, avouons-le, un mouvement de fuite — qui aurait pu s’exprimer ainsi : fuir le sempiternel salmigondis des relations humaines, individuelles et sociales, l’inextricable labyrinthe psychologique, politique, etc, que les hommes tissent entre eux, en eux et autour d’eux.
Alors en s’embarquant avec les Animaux, on rêvait un peu de vacances, de s’offrir et d’offrir un petit bain de jouvence, le luxe d’être bucolique et même un brin contemplatif. Seulement on ne peut pas transporter d’un seul coup toute la sous-préfecture aux champs ! Le sous-préfet aura beau faire, peut-être, encore des vers, s’extasier, et se déboutonner en toute sérénité, d’autres mettrons le doigt sur des choses horrifiques…
Voilà que dans l’herbette, on se retrouvait en face de la relation brute : reproduction, dévoration, pièges, captures, séductions, sacrifices, morsures et piqûres, appétits, besoins de tous ordres, enfin, bref, la vie et la mort dans leur vérité toute crue, comme jamais encore nous n’en avions parlé, sinon à mots couverts, — avec les bêtes, forcément, il fallait être bête pour ne pas s’y attendre !… Mais grâce à elles cela se fait, bien sûr, naturellement, avec simplicité, humour, une certaine douceur, pudeur, de la noblesse, parce qu’elles n’ont pas tout à fait peur de la même façon que nous, qu’elles soient victimes ou assassines, témoins, ou rien. Qu’elles aient de la douleur, du désir, du plaisir, de l’ennui, peut-être — qui sait ? — qu’elles aient même à faire face à des complications, complexités, perplexités, complexes — pourquoi pas ? — tout ce qu’on peut avoir, nous, qu’elles défendent leur vie, leur territoire, leur liberté, il n’y a pas de superflu, de résidu, de complaisances, pas d’abus, d’alibis, c’est clair, l’enquête est tout de suite faite…
C’est que les bêtes sont innocentes… Si on découvre leur présence dans le fond de nous-même, n’y aurait-il pas un peu d’abus, par contre, à décalquer sur elles nos vertus et nos vices, nos excès et nos manques, nos culpabilités et notre suffisance, comme si on était le fabuliste ?
Il n’y a pas que des animaux, d’ailleurs, dans Animaux, il y a des humains; et ce qui peut paraître  étrange est qu’ils soient tous faits de la même pâte, dans la même matière, partagent le même langage, participent d’un même esprit, d’un même rêve en tout cas, — et que cela paraisse naturel ! Le théâtre nous permet ça : rendre un instant réelles, même modestement, la fantaisie et l’utopie, — ici, ce serait, disons, une certaine unité des êtres, une certaine harmonie légère…
Donc Animaux, à sa façon, n’ignore pas certaines questions, mais pas pour aggraver nos soucis, au contraire, c’est une tentative très légère pour mettre l’homme en perspective, par la présence de l’animal à égalité d’existence, ouvrir ou déplacer tant soit peu la focale, parce que c’est lourd, pour nous, à supporter, à force, d’être au nombril du monde…
Si d’Autres Animaux, déjà, nous ont rejoints, encore bien d’autres bêtes seraient prêtes à le faire. Grâce à elles, d’ailleurs, qui attendent à la porte, on laisse le spectacle ouvert, comme si, quand c’est fini, ça pourrait continuer quand même, à l’infini, si l’enjeu n’était pas seulement que l’esprit redevienne léger, mais qu’il allège la matière et l’amène à se soulever, la soulage aussi, l’encourage à se perpétuer…

Alain Enjary


Animaux suivis d‘Autres Animaux se compose d’une quinzaine de scènes plus ou moins longues, mettant en jeu à chaque fois de nouveaux personnages, des animaux, bien sûr, et quelques humains. Les séquences ne semblent pas avoir de liens logiques entre elles mais sont écrites comme en écho les unes par rapport aux autres et malgré ou grâce à leur diversité participent d’un ensemble, dont on ne pourrait sans dommage retirer un seul élément. Loin de l’inventaire, du bestiaire, du recueil de fables, de la visite au zoo, Animaux nous plonge dans un monde particulier où la fantaisie a beau jeu, qui peut se permettre des incursions dans des espaces inaccoutumés, comme ceux du dessous où du dessus, de jouer avec les changements d’échelle, visiter les êtres les plus incongrus et grâce à l’ingénuité de ses personnages que l’on pourrait appeler « nos ancêtres » oser aborder les « grands sujets », comme la faim, le sexe, la mort…

Dans Animaux, la nuit préside à tout, elle est la toile de fond, le passage obligé, le lieu d’où émerge toute nouvelle créature. Chaque séquence commence et finit dans le noir, la lumière apparaissant souvent avec un léger temps de retard sur la parole comme si l’image craignait de s’imposer trop vite ou trop fort et laissait l’œil s’accommoder doucement. La nuit s’installe même tout au long de la scène dans laquelle l’auteur semble être en panne d’inspiration ; elle tombe quand le chat ferme les yeux dans l’espoir de se glisser, hors du temps et de l’espace, dans un des mondes parallèles ; elle est peuplée de bruissements et d’activités quand les humains dorment. La nuit, c’est aussi le lieu de la patience, de l’abandon, de la confiance : même si elle est habitée de démons, elle nous ramènera au réveil, rafraîchis ou consolés. Elle loge d’ailleurs dans les théâtres !

L’espace pour Animaux est le plus vague et le plus ouvert possible, il doit pouvoir « résonner » différemment à chaque nouvelle séquence — et aussi « résonner » différemment pour chaque spectateur, selon son propre imaginaire. Il se modèle et se transforme légèrement au moyen de quelques galets — et de temps à autre un fil — qui le dessinent, ou plutôt l’esquissent, le suggèrent. Il s’appuie sur un pan de mur — ou sur un écran — sombre, au lointain, derrière lesquels les personnages sont en attente et qui permet leurs entrées de chaque côté. La lumière participe aussi au mouvement général en changeant d’axe, de coloration, de partis pris qui peuvent passer de grands rais, à des bains ou des points, toujours très simples dans leur composition.

Quatre femmes, deux hommes, habillés de vêtements sombres pour se fondre dans la nuit, sont les « passeurs », sans qu’ils ne perdent jamais leur identité humaine, vers ces multiples animaux. Aucun masque, aucun signe extérieur, pas de gestuelle particulière, là aussi on cherche à suggérer ; en répétitions, on parle d’ « amalgame », d’un lieu de rencontre où l’acteur et le personnage se confondraient, sans toutefois que l’un prenne le dessus sur l’autre ; on sait que c’est une sorte de jeu d’équilibre extrêmement fragile, qui réclame une attention, une présence aiguës.

Dans Animaux, le défi est particulièrement provocant compte tenu de la distance qui nous sépare du sujet, car c’est bien dans notre épaisseur d’humain que devra se réaliser la petite alchimie. L’image de l’animal est en nous comme en « surimpression », elle se révèle, on ne sait trop comment, par des riens, provoqués d’abord par une attitude intérieure guidée par le monde animal, une sorte de « fraîcheur » d’être, et c’est elle qui décentre et modifie nos comportements humains. La connivence avec le public s’établit peut-être aussi plus facilement grâce à l’étrangeté du sujet qui se double d’une sorte de jeu de devinette : « qui est-il » ? un oiseau ? un ver luisant ? un poisson ? une huître ? une araignée ? des femmes ou des fées ? des bœufs ? un chat ? un crocodile ?…

Arlette Bonnard

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