Le chateau dans les entrepôts – présentation

LE CHÂTEAU DANS LES ENTREPÔTS, d’Alain Enjary. Mise en scène et scénographie Arlette Bonnard. Lumières Denis Llorca. Production C.D.N. de Franche-Comté et AMBRE. Créé le 8 Novembre 1988. Nouveau Théâtre de Besançon. Avec Arlette Bonnard, Valérie Durin, Alain Enjary, Armand Enjary, Gilles Geisweiller, Denis Llorca, Raphaële.

Alain Enjary


Le château dans les entrepôts – photos

Photos Joël Lavrut

Le château dans les entrepôts – extraits de presse

Le château dans les entrepôts : du beau avec des mots de tous les jours.
Combien de destins, depuis l’aube de l’humanité se sont scellés dans le mouvement d’une porte qu’on allait ouvrir ou qu’on venait de fermer ! Il n’y a que des portes dans « Le château dans les entrepôts », qui s’ouvrent et se ferment selon le destin et autant de destins qui se forment selon l’ouverture ou la fermeture des portes.
D’un côté, c’est ici, et de l’autre, c’est ailleurs, et quand on se retourne, c’est pareil. Quelle histoire ! Cette pièce ne raconte rien d’autre, mais elle raconte tout ça.
Des hommes et des femmes vont et viennent, se croisent, prisonniers de leur destin ou de leur liberté, sous l’œil goguenard de deux flics étranges qui veillent sur leur bonheur, aussi jalousement que, dans d’autres pays, sur leur sécurité.
Alain Enjary, l’auteur, est un habile manipulateur de mots. Ce jeu a bien des vertus, comiques ou poétiques selon les inspirations et les aspirations. Ici, on vagabonde entre l’une et l’autre. On joue à se comprendre à demi-mot, à commencer des phrases qu’on ne finit pas, à se lancer des mots qu’on ne prononce pas, mais qu’on sous-entend d’un air entendu.
C’est la vie. C’est d’un littéraire superbe et d’un quotidien dérisoire. Alain Enjary fait du sublime avec des mots de tous les jours et du populaire avec des grandes questions, le tout flottant grâce à Arlette Bonnard, dans une mise en scène qui a l’air de ne pas être. Jean-Pierre Govignaux, L’EST RÉPUBLICAIN.

Un mur en arc de cercle, huit portes. Derrière, tombant des cintres, quelques tentures blanches. C’est en se frayant un chemin à travers elles que dans « Lila » (créée à Besançon il y a deux ans), deux petits personnages sont partis en quête de la terre promise. « Le château dans les entrepôts » est le deuxième volet du triptyque.
Une pause dans le voyage. Mais cette pause s’est prolongée : nos deux passagers de la vie ont oublié leur grand rêve. Des rencontres vont leur faire retrouver la mémoire. Le théâtre, le vrai, le voici. Théâtre du « presque rien », comme dit Alain Enjary. Un presque rien qui est plus que tout, puisqu’il nous parle de la seule grande affaire de la vie : la quête de l’amour et de l’absolu. Avec une comédienne fabuleuse : Arlette Bonnard, et un vrai poète : Alain Enjary. Claude-Marie Trémois. Télérama.

Nord-Est – présentation

NORD-EST, d’Alain Enjary. Mise en scène et scénographie Arlette Bonnard. Lumières Christian Coqblin et Jean-Pierre Rouvellat. Production AMBRE. Créé le 28 Avril 1988. Centre Culturel de La Courneuve. Nouveau Théâtre de Besançon. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary.
Reprise, dans une nouvelle scénographie d’Arlette Bonnard, au Théâtre du Renard,  à Paris, le 5 Janvier 1996. Lumières Eric Fassa, collaboration artistique Martine Froment. Production AMBRE, Aide à la Création de la Ville de Paris. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary.

« Nord-Est » est un conte, avec les moyens du théâtre (parce que, du début à la fin, c’est une pièce de théâtre, ni tragédie, ni comédie, ni drame, ni réaliste, psychologique, lyrique, non, mais un conte), et avec les moyens du bord ! Ceux qui restent quand on a vieilli, et le Monde aussi, quand on navigue déjà depuis pas mal de temps, qu’on ne peut plus raisonnablement, c’est le cas de le dire, parler de toutes les merveilles du temps où l’on était petit, au seuil du « Vaste Monde », qui, lui, par contre a rétréci. Rétréci n’est pas le mot, on l’a rempli plutôt, mis notre empreinte un peu partout, nos pieds, nos mains, notre nez, nos idées, nos antennes, nos ondes, et nos déchets ; il n’y a plus beaucoup de Monde ; pour un peu il n’y aurait que nous.
Or, pas de conte sans voyage, dans « Nord-Est » on voyage donc, en tout cas les deux personnages, une femme et un homme, ni jeunes gens, ni vieux sages — comme quand « il était une fois » — entre deux âges… Ils traversent le monde qu’il reste, monde humain, trop humain, peut-être, dans la direction du Nord-Est.
Que peuvent-ils bien aller chercher ? Sans doute pas l’oiseau d’or, ni le bleu, ni un trésor, pas la fontaine de jouvence, ni prince ensorcelé, ni princesse lointaine, gardée par un dragon… Qui rencontrent-ils donc ? Certainement pas des nains, ni un géant sans cœur, ni un poisson qui parle, ni la reine des grenouilles, ni une fée, pas même des humains très bien différenciés, cordonnier, laboureur, bergère, pêcheur, poète, menuisier, forgeron, sorcière, curé, car l’empreinte de l’homme, mise aussi sur les hommes, ils se ressemblent presque tous.
Mais comment se déplacent-ils. Que font-ils ? Où vont-ils ? — On ne va pas tout vous dire ! « Est-ce que ça finit bien ? » — Il n’y a guère de contes, qui ne finissent pas bien. « Mais s’il reste si peu de chose, qu’en est-il de l’espoir ? » — Tant qu’il y a de le vie, vous savez ce qu’on dit ! « Est-ce qu’on rira ? » — Peut-être. « Sourira ? » — Certainement. « Genre ricanement ? » — Dans un conte, jamais de la vie ! « Qu’est-ce qu’un conte, d’abord ? » — Un conte, c’est quand ce qu’il était, ce qu’il est, ce qu’il sera une fois, même pas grand chose, même ordinaire, presque rien, ce qui reste, la vie, est baigné de mystère, quand le Monde, si lourd et si usé soit-il, est de nouveau neuf et léger…

Alain Enjary

Photo Ueli Tecklenburg

Nord-Est – photos

Photos Julien Chamoux et Jean-François Schiano

Nord-Est – extraits de presse

Besançon est une bien jolie ville. Même s’il n’en était rien, il ne faudrait pas hésiter à s’y rendre pour profiter du plus fin des spectacles. « Nord-Est » — créé à La Courneuve, l’an dernier, mais qui l’a vu ? — est le dernier volet (après « Lila » et « Le château dans les entrepôts ») du triptyque qu’Alain Enjary a consacré à la quête. Quelle quête ? Celle qui nous pousse à marcher « quand il n’y a plus de mots pour dire ce que l’on cherche ».
Il y a du « Stalker » dans « Nord-Est », un « Stalker » revu par Devos…
Dans un décor comme on les aime, où il suffit de quelques pans de toile blanche tombant des cintres comme des voiles de bateau pour laisser libre cours à notre imagination, Arlette Bonnard et Alain Enjary jouent eux-mêmes, magnifiquement, cette pièce ténue, aux mots simples, qui, à force de tendre vers le presque rien, finit par nous faire entrevoir le presque tout. Claude-Marie Trémois, TELERAMA.

Ni Beckett ni Ionesco, ni Prévert mais un peu de tous ceux-là, ce dialogue est un parcours, une quête d’autre chose. Un jeu d’aimants et d’amants qui se cherchent, se dérobent, se confrontent dans une sorte de labyrinthe. Une écriture insolite suspendue aux mots construit cette nébuleuse où il faut se laisser porter. La sobriété des deux comédiens est tout au service de cet objet théâtral non identifiable. Intéressant. Agnès  Dalbard, LE PARISIEN.

Les spectacles d’Alain Enjary et d’Arlette Bonnard se distinguent toujours par leur profondeur et la portée puissamment philosophique qui s’en dégage avec une apparente simplicité. « Nord-Est » n’échappe pas à la règle. Comme toutes les œuvres d’Alain Enjary, auteur inspiré, « Nord-Est » est un voyage initiatique, une progression à la fois intime et universelle vers la vérité de soi.(…)
On ne peut pas raconter « Nord-Est » sans en trahir la force fragile et ténue, le sens à la fois simple et ésotérique. Quand on a vu une fois une pièce d’Enjary et de Bonnard on ne peut l’oublier tant chacune d’elles marque profondément l’esprit de ceux qui cherchent au théâtre autre chose que du sensationnel et du soi-disant audacieux. L’audace du tandem Bonnard-Enjary pourrait bien quant à elle ressembler à du courage et cela devient de nos jours de plus en plus rare. Frédérique Maupu-Flament, LE QUOTIDIEN DE PARIS.

Ils sont deux, un homme, une femme, dont on ne sait rien, ou si peu. Les voilà ensemble, partis incognito à l’aventure d’un ailleurs, fantasme ou souvenir, d’une issue. Quitter la ville, sortir du monstre urbain comme Jonas de la baleine. Mais comment faire, comment se diriger dans un univers tramé, parcellaire, quand les lignes aboutissent à des culs-de-sac et que les plans, périmés, ne coïncident plus ?
Alain Enjary a écrit une parabole dramatique, implacable de cohérence logique, avec légèreté, humour, et un énorme soupçon de très pudique tendresse.
Quand la qualité de l’écriture est rejointe par celle de la mise en scène d’Arlette Bonnard et celle de l’interprétation, on s’étonne encore de la particulière émotion, de la fragilité de ce fil tendu, ténu, sur lequel marche le spectateur d’un bout à l’autre de la pièce ; pourtant c’est simplement la grâce, la grâce du théâtre, quand il sait, trop rarement, conjuguer l’intelligence et la sensibilité. André Malamut, RADIO MÉDITERRANÉE.

(…) Une chose surtout m’a frappé : le dépaysement total que j’ai eu en venant voir ce spectacle, à tout point de vue. D’abord à cause de cet univers dans lequel on se retrouve — où vont-ils, où veulent-ils nous emmener ? Et puis il y a le rythme du spectacle, très important, qui permet un dépaysement, un rythme — le mot lent me vient — mais ce n’est pas ça, ce n’est pas lent, c’est différent, c’est quasiment intemporel. On a une respiration différente, ou un regard différent. RADIO LIBERTAIRE.

Nous nous laissons entraîner dans ce périple, comme si ces deux partenaires nous prenaient par la main… Avec eux nous nous perdons dans les dédales d’un itinéraire singulier. (…) Ces deux acteurs nous captivent dans leur quête de cet ailleurs. Elle (Arlette Bonnard) par sa présence, sa grâce, sa disponibilité et sa ténacité, subjugue. Lui, (Alain Enjary, l’auteur) étonne par son obstination, révélée tant dans son discours que dans son jeu.
Quelle écriture ! Dommage que le texte ne soit pas publié. Chaque mot compte et possède son propre poids, nous emportant. Jusqu’où ? Jusqu’à la fin… Or la fin correspond au début d’autre chose, dit l’auteur… (…) Monica Wahl, LE JOURNAL DE NERVURE.

NORD-EST : CONTE FANTASTIQUE. Alain Enjary a écrit, Arlette Bonnard a mis en scène, ils interprètent « Nord-Est ». Après « Lila », sorte de conte initiatique et « Le château dans les entrepôts », sorte de conte philosophique, le triptyque se complète d’une sorte de conte fantastique mais tout aussi initiatique et philosophique que les deux premiers réunis (heureux aventuriers qui ont vu la trilogie non-stop, samedi dernier!).
Savoureux poète, Alain Enjary dit des choses importantes sans en avoir l’air. Metteur en scène délicat, Arlette Bonnard nous prend par la main et nous emmène dans un monde étrange où la folie est faite de riens ordinaires.
Ils ont décidé de fuir ce monde où on voulait tellement leur bonheur qu’on les privait de liberté. Par le Nord-Est? Pourquoi pas? De toute façon, dans n’importe quelle autre direction, c’était aussi compliqué. (…) Heureusement, il y a l’humour, qui aide à vivre les mauvais moments et l’optimisme qui place toujours l’espoir au détour du chemin. C’est ainsi qu’à la fin… Non. Allez plutôt voir vous-même. Il est recommandé d’avoir l’âme d’un poète. Jean-Pierre Govignaux, L’EST RÉPUBLICAIN.

(…) Drôle de mystère? Intrigue minimale? C’est un brin perplexe et déboussolé que l’on aborde cette pièce mais le postulat est suffisamment séduisant pour qu’on y souscrive volontiers. Belle occasion en tout état de cause pour Alain Enjary (auteur, comédien) et Arlette Bonnard (interprétation, mise en scène) artistes du dérisoire, de proposer à nos raisons étriquées une bolée d’absurde, de mystère, de nous conter de menus moments empreints d’étrangeté et de nous entraîner sur les jolis et incertains chemins de l’Ailleurs. Un joli moment de théâtre suspendu entre ciel et terre. Myriem Hajoui, BOUM BOUM.

… Mystère autour duquel la pièce est brodée, quelque chose sans doute au bout d’un chemin aléatoire, un déplacement continuel et même obsessionnel mais sans limite, un chemin qui ne mène nulle part vers un ailleurs incertain peut-être, au delà d’ici, vers où? (…) Un spectacle singulier qui nous tient en haleine avec presque rien, sauf la virtuosité d’un conteur, la douce et ferme présence d’une actrice et d’un acteur, qui évoluent dans une scénographie d’une extrême sobriété et des lumières qui jouent à ponctuer cette fable théâtrale qui, au delà de l’usure quotidienne, rêve de liberté (…)
D’où vient l’idée d’écrire une chose aussi singulière?… Est-ce par exemple une métaphore de l’évasion? Ces deux personnages qui sont en partance, quels rêves cherchent-ils à décrire?… Que sont-ils ces personnages? Qu’est-ce qui les lie? Qu’est-ce qui les fait bouger ensemble? On ne peut pas, par exemple, véritablement leur donner d’âge.(…) Ici, on ne raconte pas les histoires que l’on voit sur les scènes de théâtre, mais alors pour ce qui concerne ce spectacle, on est encore plus en peine… Je ressens la pièce comme une fable sur l’ordinaire de la vie… Irrationnelle et pas forcément absurde parce qu’il y a quand même beaucoup de logique là-dedans… Court, allusif, dépouillé, simple mais poétique, toujours avec les mots de tous les jours mais qui construisent du sens, si je puis dire, un peu énigmatique aussi… On touche à tout sans vraiment donner l’impression de toucher à rien, à quoi que ce soit… On propose aux spectateurs de s’engager sur un chemin, — on ne leur montre pas le chemin, on ne leur montre pas forcément le but au bout de ce chemin, — juste s’engager dans l’aventure.
C’est un spectacle ludique, avec suspense et un brin de poésie. Patrick Germain, T.S.F.

Photo Jean-François Schiano

Lila -présentation

LILA, d’Alain Enjary. Mise en scène et scénographie Arlette Bonnard. Costumes Maritza Gligo. Lumières Gérard Massin. Production Centre Dramatique National de Franche-Comté et AMBRE. Aide à l’Ecriture et Aide à la Création (Ministère de la Culture). Créé le 7 Mars 1986. Nouveau Théâtre de Besançon, Festival Européen de Blois. Reprise Théâtre des Quartiers d’Ivry. Avec Arlette Bonnard, Alain Enjary, Armand Enjary, Gilles Geisweiller, Violaine Schwartz, Patrice Sow.

« Il y a trop », lui répète-t-elle, et lui : « Tu as fait des comptes ? »
— Au début, mais après…

— La somme t’a effrayée.
— Je calculerai.
— Prends toujours ça.

— La prochaine fois.
— Il y a trop de fois, déjà, que je ne t’ai pas payée.
— Vous ne pouviez pas, je savais.
— Je n’avais qu’à te renvoyer. Seulement tu viens, tu pars, à peine si je t’ai vue, tout est propre, rangé, comme si de rien n’était, la pile de linge frais ne s’épuise jamais. Cette chemise a eu trois trous. Où sont-ils ? Où sont les reprises ? Dommage qu’on ne les voie pas tellement elles sont bien faites, on verrait qu’on ne les voit pas, tant le travail est délicat. Mais elles sont là. Là, là et là. « Le tissu ancien enrichi par de secrètes broderies… »  Tu connais cette chanson ?… Un si beau travail qu’il s’oublie, pour finir je t’oublie aussi. N’empêche que tu es encore là !… Tu as même acheté le fil.

— Il n’a rien coûté.
— D’où vient-il ? »

Le projet, d’une certaine façon, est évoqué ici, au début de la pièce… Invisible, nécessité, présence, « presque rien »… Mais ce n’est pas le « sujet ». Pas de sujet, le moins possible d’a priori : que le théâtre ne soit pas qu’illustration, démonstration, témoignage sujet à caution, art de seconde main… Le poème ne fait pas la preuve, il l’est. Le poème ne dit rien, il est ce qui est dit. Il est un acte, pas un moyen, il n’est rien que lui-même, comme la musique, et comme la vie…
Le projet est toujours le même, pas non plus vraiment un projet, un souci quotidien, plutôt, une recherche, au jour le jour, une quête avec des étapes, on pensait découvrir ceci, on tombe sur cela. On repart. On n’ose plus dire ce que l’on cherche, car à mesure qu’on le précise, il y a de moins en moins de mots pour le définir. On cherche on ne sait quoi…
Il s’agit d’une aventure, d’un trajet de deux personnages, d’un voyage au terme incertain, non seulement pour elle, mais pour lui, qu’elle a suivi dans la montagne, malgré lui, même malgré elle — il ne tient à guider personne, pas plus qu’elle à suivre quiconque. Qu’est-ce qui nous fait marcher, lorsqu’on sait juste un peu comment, à peine pourquoi, mais pas du tout jusqu’où, ni jusqu’à quand on doit marcher ? Il n’est pas question de réponse. Il est question tout court !… Aventure réduite à sa plus ténue expression, le sujet de la pièce tend vers le moins possible, le presque rien, la transparence, pas pour saisir ce qu’il y a derrière, on en serait encore encombré, plutôt pour qu’on devine la lumière au travers, plutôt pour éclairer tant soit peu le réel, plutôt pour faire de la place, de l’espace, de l’air, qu’on respire !…

Alain Enjary


Lila – photos

Photos Julien Chamoux

Lila – extraits de presse

(…) Qu’on n’imagine pas une banale BD fantastique : le jeu fluide des panneaux blancs qui ouvrent incessamment l’espace à l’imagination du spectateur, en laissant à chaque séquence (courte) le temps de résonner sans lenteur, l’économie rigoureuse de l’écriture, la présence intense, chaleureuse – dans toute cette neige – , le charme très concret des comédiens font « partir » le spectateur beaucoup plus loin. On pense au trajet de Lenz entre nuages et montagnes, dans la nouvelle de Büchner; on suit le sentier de la femme, douce esclave maternelle d’un homme obstinément adolescent, vers sa liberté « à côté » de lui, on glisse sur la tentation du voyage initiatique et de son blanc paradis : on se laisse dérouter par une langue très simple, moderne, discrètement rythmée, qui appelle du fond des corps les légendes de la nuit des temps.
Et c’est tout. Une harmonie entre l’écriture d’Alain Enjary, le jeu, le dispositif d’Arlette Bonnard, qui se prolonge dans le silence en une profonde émotion, comme savent le faire les plus belles musiques. C’est plus que beau : la pudeur, le respect, le vertige, la simplicité, le rire… Christine Friedel. RÉVOLUTION.

VOYAGE AU BOUT DE L’AMOUR. (…) « Lila » est l’un des plus beaux spectacles – je pèse mes mots – que l’on puisse voir. Tournant le dos à l’hyperréalisme et à tous les tics à la mode, Arlette Bonnard (le metteur en scène) et Alain Enjary (l’auteur) réinventent un théâtre sans âge, dépouillé, qui ne ressemble à rien ni à personne.
Pour tout décor, de grands panneaux de toile blanche, qui tombent des cintres et qu’on oriente, comme des voiles de bateaux, pour découper sans fin de nouveaux espaces au gré des étapes du voyage. Quel voyage ? Celui de la vie. Le nôtre.
Alain Enjary évite tous les écueils. Il manie le « presque rien », le ténu, l’impalpable. Par des mots très simples, il nous transporte ailleurs, là où l’on est enfin soi-même, en quête d’on ne sait quoi mais qui est plus important que tout. Quelque chose qu’il faut aller chercher très loin pour découvrir enfin qu’il était tout près de nous. L’amour peut-être. (…) Claude-Marie Trémois, TELERAMA.

LILA : POÉSIE ET TRANSPARENCE. Dans le cadre du 3e FESTIVAL EUROPÉEN DE BLOIS, la Compagnie Ambre a présenté « Lila ». Pièce délicate, toute empreinte de poésie et de simplicité. Simplicité de la mise en scène très dépouillée, décor léger fait de longs voiles blancs que des personnages vêtus de noir, déplacent avec souplesse pour moduler l’espace.
Les acteurs principaux : un homme, une femme, dont le dialogue est réduit à l’essentiel : phrases courtes, sur le mode question-réponse évitant toute possibilité de mensonges, effets de rimes qui accentuent encore le caractère poétique de l’œuvre, portent également en eux cette transparence malgré les lourds habits dans lesquels ils sont engoncés.
Nous savons peu de choses de ces êtres, mais l’unique propos est la quête perpétuelle de la liberté, de l’amour et de l’innocence qu’ils parviendront à atteindre à force d’obstination. Monique Chausset, L’AVANT-SCENE.

Lila! Le mot a des fragrances qui promettent de chaudes voluptés. On rêve autour d’un son et des images qu’il évoque… J’avais donc rêvé autour de cette pièce d’Alain Enjary et la réalité a tout transcendé!
Dans l’hémicycle de la Halle aux Grains on est accueilli par la blancheur inhumaine du décor.  Pas vraiment un décor d’ailleurs! Juste de grandes voiles blanches, presque irréelles, manipulées par des silhouettes noires, comme celles que l’on voit derrière les marionnettes du « Bunraku »…
II y a cette abstraction, ce vertige de la stylisation, qu’on éprouve devant un jardin Zen et qui s’incarne dans un parti pris de légèreté matérielle. Vertige des mots, des situations qui se retournent ! (…) Il y a parfois du Marivaux chez Enjary ! Un Marivaux sans dentelles et fard, mais qui aurait croisé Beckett ! Vertige des relations humaines, où le Fort devient le Faible…
J’ai vu « Lila » comme une de ces poupées russes qu’on découvre soudain remplie d’une autre, jusqu’à plus soif… On croit qu’on va tout comprendre et un déclic se fait, qui vient tout bouleverser et ouvrir de nouvelles perspectives… Tout s’emboîte et se nie à la fois. Tant de symboles, de tiroirs à double-fond, de labyrinthes… Du grand art ! (…) Danièle Villeneuve. LA RÉPUBLIQUE DU CENTRE.

AMBRE : Arlette Bonnard et Alain Enjary aiment les formes brèves, cultivent l’économie des mots et des gestes et la sobriété des décors. L’an dernier, ils avaient enchanté le public avec « La sente étroite du bout du monde », suite de poèmes japonais ; ils affrontent cette année l’hémicycle de la Halle aux Grains avec « Lila ». Il est difficile de trouver unité de conception plus grande, et plus d’harmonie entre les intentions et la réalisation.
(…) La pièce est l’histoire d’une rencontre, de la séduction des personnages, de leur tension, et d’une conciliation finale assurée par un père, interprété par Armand Enjary. Ce qui caractérise un tel spectacle est la justesse de ton, des voix et des gestes, qui donne la beauté à l’ensemble. Camille Mauzon, LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE.

(…) Aller plus loin dans l’abstraction c’est aussi laisser plus de place à l’imaginaire, à la page blanche. Alain Enjary a écrit un texte qui respire, aujourd’hui au théâtre, dans les moyens de ce dernier. Belle écriture : des octosyllabes au travail de sonorité, des mots simples racontent le rêve, le grave derrière le quotidien… Magie de la vie, admiration naïve pour chaque être qui vibre, vit le mystère de sa vie : communication, communion possible dans le mystère. Sans oublier de jouer : entre le ciel et la terre de la marelle, les cases ont été bousculées, à vous d’inventer. Arlette Bonnard a découpé joyeusement un « cyclo » pour créer des espaces, des climats…
L’Aventure avec un grand A commence, voyage dans la connaissance de soi (n’est-ce pas le sens de tout voyage initiatique et n’y a-t-il pas initiation même s’il n’y a pas de but?), voyage dans la communication…
Arlette Bonnard, Alain Enjary comédiens sont parfaits, dépouillés de tout effet gratuit, menant ce voyage sans but avec naturel. Dominique Daeschler,  LE PAYS DE FRANCHE-COMTE.

La sente étroite du bout du monde – présentation

LA SENTE ÉTROITE DU BOUT DU MONDE, Haïkaï, d’après Bashô, Buson, Issa, Shiki, etc. Adaptation, mise en scène, scénographie et jeu Arlette Bonnard, Yves Collet, Alain Enjary, Danielle Van Bercheycke. Production  Atelier 8. Créé le 27 Juin 1985. Festival Européen de Blois. Reprise Théâtre de la Tempête Paris. T.G.P. Sartrouville, Théâtre des Quartiers d’Ivry. Festival de Fort-de-France.

Sur d’anciennes traces…
Un long chemin, sur plusieurs siècles, jalonné par quelques grands maîtres, dont on a reconnu l’universalité, conduit des formes de la poésie traditionnelle japonaise, au haïku, ainsi devenu un sentier poétique étroit, une sorte de quintessence… on pourrait qualifier ce chemin de spirituel, si chez nous, trop souvent, une définition n’excluait son contraire.

Entre deux mondes
Or le haïkaï, puis le haïku, fulgurants croquis ramenés de longs voyages intérieurs, ne sont aussi que quelques notes, d’une extrême simplicité, sur ce qui peut se présenter d’ordinaire à n’importe qui vit et regarde autour de lui, reste sur place, ou se promène, sans jamais dépasser les frontières de ce monde…

Un étroit sentier
Qu’il soit serti dans la prose (haïbun) ou enchaîné à d’autres (haïkaï) au cours de réunions — chaque participant les improvisant à son tour — puis de compilations pour fixer en recueil des suites, alors recomposées, corrigées, discutées, calligraphiées, ou qu’il soit fait isolément, comme la pratique aujourd’hui s’en est perpétuée (haïku), le poème a juste trois vers, de 5/7/5 syllabes.

A travers l’espace

Il est donc tout près du silence, et par lui la pensée chemine au bord du vide de l’esprit, le long du Rien, qui est bien sûr ce qu’il y a de plus près de Tout, puisqu’à chaque seconde quoi que ce soit y a sa place et qui que ce soit de l’espace. Le haïkaï est une tentative, peut-être bien le plus « pointue », comme on dit aujourd’hui, pour explorer les zones frontières du banal et de l’indicible, du connu et du mystérieux, de l’être et de non-être…

Suivi par un enfant
Comme souvent en Orient, c’est une dialectique en acte. Cette pratique, dans le fond s’organise autour de Bashô (1644-1694), avant, pendant, après. Il n’a jamais fixé aucune théorie, mais ses disciples ont témoigné :
« Dans l’art du Maître, il y a l’invariant pour dix mille âges, il y a les variations de l’instant. Ce sont là deux extrêmes, dont le fondement est unique. Et ce principe unique, c’est la vérité de l’art. »
« Si le Maître se plaisait à dire : « Laissez faire du haïkaï aux bambins de trois pieds de haut ! »  ou encore « les versets d’un novice sont un plaisir ! », c’était une manière de dénoncer les travers des gens adroits. »

Ou durant toute une vie
Et pourtant il disait aussi : « S’exercer est l’affaire de chaque instant. Une fois en place, ne laissez pas l’espace d’un cheveu entre le plateau à écrire et vous »…
« La prose que l’on écrit dans l’esprit du haïkaï est du haïkaï-bun (« haïkaï en prose »). Et les vers que l’on compose de la sorte sont du haïkaï-ka (« haïkaï en vers »). Et celui qui l’agit dans sa vie est un homme de haïkaï ».

Pour l’or, pas pour les cuivres
« Toutefois se donner des airs de grand connaisseur, rompre avec la tradition et, tout fier de ne pas faire comme tout le monde, se répandre en vains discours, est proprement odieux. Pareil étalage de vanité prétentieuse ne mérite point le nom de haïkaï-renga, mais serait une manière toute personnelle que l’on pourrait qualifier de haïkaï trompette ou tintamarre ».

« La Sente Etroite du Bout du Monde », titre emprunté à un haïbun de Bashô, est donc, en quelque sorte, une tentative de « haïkaï théâtre » ! Le danger est très grand de faire du haïkaï trompette. D’autant que dans un monde où il faut toujours s’affirmer, s’exprimer, s’expliquer, il est difficile de trouver la transparence, l’insignifiance qui laisserait à chacun la chance de découvrir, de vérifier, et de réaliser un sens.

Alain Enjary